dimanche 11 mars 2012

Chapitre 19.

Sainte-Trique fête Arsilonde Epure....

Arsilonde Epure...le pastis est meilleur, disait-on en riant à Sainte-Trique, car la sainte patronne du village avait un nom et un prénom prêtant au calembour. Le calembour était d'ailleurs le sport intellectuel le plus en vogue dans le bourg. Il ne faisait pas bon d'être affublé d'un patronyme susceptible de plaisanterie.

En ce début du mois d'octobre, régnait dans le bourg une atmosphère fébrile: c'était la préparation de la célébration de la fête de la Sainte patronne Arsilonde Epure. Cette fête était traditionnellement placée le deuxième week-end du dixième mois de l'année, curieusement nommé "octobre", c'est à dire le huitième mois. Tout cela étant la faute des Romains qui célébraient Noël à Pâques et le Premier Janvier le Premier Mars, l'auteur n'entamera point une explication historique, Rome étant également l'unique objet de son ressentiment.

Reprenons donc le cours de notre récit. La Sainte Epure Arsilonde était une reconstitution historique à laquelle chaque Sainte-Triquois se devait de participer. Chaque famille avait son rôle, ses costumes et sa place dans le spectacle depuis des lustres et des suspensions. Un peu comme dans les fêtes de la bière en Bavière où l'on se saoule certes mais en costumes folkloriques... C'est plus classe hic!

Curieusement, le rôle d'Epure Arsilonde était, depuis bien des années, confié à un homme. Cela datait du temps où les femmes n'avaient pas le droit de se joindre à une troupe, la Sainte Eglise romaine s'y opposant.

Aujourd'hui, l'Eglise n'en avait cure - si l'on puit dire! Les vieux cardinaux ne s'en prenaient plus qu'au préservatif. Surtout les cardinaux chauves qui croyaient parler d'une lotion capillaire refusant la réalité tonsurale. Je laisserai mes lecteurs méditer sur ce point ( cardinal évidemment). Quant aux autres rôles, chacun se déchaînait à sa guise. Certains jouant les Frères de la Joyeuse Pénitence Tardive, d'autres, les soeurs pas farouches qui mettent l'eau (bénite) à la bouche et d'autres encore les païens paillards pas encore convertis.

La fête de Sainte-Trique, les lecteurs l'auront compris, tenait plus de la bacchanale que de l'élection de Miss Rosière. Les vierges de Sainte-Trique ne le restaient pas longtemps, la vie est trop courte pour ne pas en profiter.

Tout était donc paré pour cette réjouissance. Les zyfourres étaient prêtes à la dégustation, le rosé au frais, le rouge à bonne température, le blanc glacé et le stand de bière adossé au mur du cimetière.

Le jour J, Monsieur le maire coupa le symbolique ruban de l'inauguration de la foire et de la fête: une guirlande de tangas, de strings, dont de la gente féminine du village avait fait don. (Les culottes en pilou n'étant pas admises ndlA.)

On appelait ce don: la collecte des culs hot, car seules les dames non frileuses acceptaient d'y participer. La Mairie de Sainte-Trique dressait à l'occasion de cette récolte, une estrade sur laquelle un étendage était fixé. Une à une, sous les applaudissements, les culottes glissaient le long des jambes de leurs propriétaires qui venaient épingler ces bouts de tissus sur les fils.

L'ouverture de la fête était marqué par l'apparition d'Arsilonde sur son char, tiré par un tracteur, suivi d'une dizaine d'autres attelages identiques et allégoriques (l'auteur en relisant cette phrase a pris conscience de l'énorme responsabilité qui lui incombe: toute erreur de frappe, toute faute d'orthographe pourrait avoir des conséquences dramatiques. Imaginez qu'il ait écrit: Arsilonde apparut sur son char, tirée par un facteur! Vattel s'est suicidé pour moins que cela sous Louis XIV ).

Un tracteur tout rouge devant un char tout blanc sur lequel trônait Arsilonde. La foule applaudissait et lançait sur le cortège des gousses d'ail, sensées chasser les démons, des pelures d'oignon, des peaux d'orange venues d'Avignon ainsi que des grains de raisin. Arsilonde Epure, quoique légèrement moustachue (car représentée par un homme, rappelons-le) avait fière allure avec sa toge blanche, son long manteau en laine et sa couronne de lauriers et ses faux seins. Elle saluait la foule d'un petit geste de la main. Un coucou par-ci, un cocu par-là, Arsilonde n'oubliait personne de sa bénédiction.

Cette première partie de la fête était la plus calme. Peu à peu, heure par heure, l'ambiance montait aussi fortement qu'un soufflet au fromage. Arsilonde laissait la place aux Frères de la Joyeuse Pénitence Tardive. De joyeux lurons, bien décidés à se repentir le plus tard possible. Les bacchanales pouvaient commencer au son de la trompette du Frère Souffleur qui marqua la véritable ouverture des festivités.

Les Frères de la JPT, munis d'un soufflet de cheminée empli de farine, se mirent à la poursuite des femmes en robes ou en jupes. Je laisse le lecteur imaginer la suite, en lui rappelant, pour mieux situer la scène, la collecte des "Culs Hot" précédemment évoquée. Les victimes riaient de se voir ainsi blanchies et enfarinées. Certaines en redemandaient même! Bientôt tout Sainte-Trique ressemblait à une minoterie géante. Tout était blanc: les chats noirs, les rats noirs, les baies noires, les souris noires (ne pas confondre en cas de défaut de prononciation avec les zouris noires, mais laissons passer le mérinos...)

Cette tradition des "Boufaéou" n'est pas l'apanage de Sainte-Trique. Elle était pratiquée autre fois par les ramoneurs alsaciens, les vignerons provençaux et les maquignons berrichons. (NdlA)

Comme la poussière de farine donne soif, tous et toutes buvaient beaucoup: de l'eau minérale, de la bière 1964, du pastis 51, de l'anisette 52, du jus d'orange à mère et de la liqueur des Saints-Pères! (pub non payée).

Les organisateurs insistaient sur la modération, rappelant que le nombre suivant le titre de la boisson n'avait rien à voir avec le nombre de verres à boire! Et s'ils vantaient les mérites des plats gras, des gâteaux et des féculents, les mêmes organisateurs n'oubliaient pas d'y ajouter la phrase gouvernementale obligatoire, imposée par le ministère du refoulement durable: "pour votre santé, baisez plus!" (pardon :"bougez plus", erreur de frappe). Remarquons au passage que l'un n'empêche pas l'autre.

Mais le point culminant de la fête était l'apparition de la Carme à Gnole. C'était une invention des Frères de la JPT: une soeur chargée de leur servir le trou normand entre la poire et le fromage, puis entre le fromage et le dessert. Qu'est-il de mieux pour apprécier un bon alcool que de le faire servir par Soeur Saoulrire, choisie pour ses qualités humanistes et pour ses capacités respiratoires. Des poumons bien développés étant indispensables pour être une bonne Carme à gnole, la charge demandant des capacités physiques importantes.

Rituellement, son arrivée marquait les dernières heures de la soirée du samedi. Alors tout Sainte-Trique entonnait un chant joyeux en allant remplir un gobelet à l'énorme tonneau juché sur un char décoré de grappes et de pampres de la vigne dont la Carme manoeuvrait le petit robinet avec dextérité. (à Sainte Trique, on prononçait souvent les "x" comme des "s" comme l'a si bien remarqué un de nos commentateurs attentifs)

Ce chant, nous en rapportons ici, soigneusement, les paroles:

Buvons à la Carme à Gnole
Vive le son, vive le son
Buvons à la Carme à Gnole
Vive le son du canon.

Et hop! Le canon en question emplissait les gosiers ! Et à chaque salve, Sainte-Trique en son ensemble s'approchait de l'extase (ou de la cuite si l'on est moins poète).
Ici, il nous faut revenir à une coutume du XVI ème siècle, coutume pratiquée lors de cette fête de Sainte-Trique.

Authentique et historique! Le Seigneur de Sainte-Trique avait eu l'idée de faire couler des fontaines de la ville, non de l'eau mais du vin, lors du pèlerinage. Cette initiative, hautement appréciée, amena une foule de croyants dévoués à la Bonne Sainte... Mais bientôt les bastonnades, les bagarres et le trouble à l'ordre public obligèrent les autorités à revenir à l'onde sans alcool.
Bizarrement, le nombre des pèlerins diminua très vite. Et le calme revint. Heureusement, il restait les Carmes à gnole. Cela sauva la fête du naufrage et Sainte-Trique continua à trinquer.

Entamons avec les Sainte-Triquois, pour conclure ce chapitre, un verre à la main et une fille dans les bras l'hymne du village:

Buvons à la Carme à Gnole!
Vive la trique! Vive la Trique
Buvons à la Carme à Gnole
Vive le Trique
Que c'est bon!