mardi 22 juillet 2014

"Les Chroniques du village de Sainte-Trique" présentent en 19 chapitres un roman complet.



Sainte-Trique existe-t-il?  Oui!
La preuve: j'ai travaillé dans cette fausse commune.

Bonne lecture donc et rassurez-vous: ce roman restera toujours virtuel mais construit avec des faits bien réels, eux! 

Quant à l'auteur, diable-merci, il est toujours -provisoirement- vivant.  66 lecteurs en Iran!

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                              Les Chroniques du village de Sainte Trique
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                                                                  en Perse

lundi 23 juin 2014

France:

Don't forget to visit the famous village calls "Sainte-Trique" (Big dick in English) This place, in the southern of Europ, close to the mediterranean see is as famous as Saint-Tropez or Acapulco.

samedi 21 juin 2014

Chapitre 1

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Où l'on découvre qu'il n'y a pas que des champignons dans les forêts du village de Sainte-Trique...
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Le gendarme Lagarrigue, soulevant son képi de la main gauche, se grattait la tête de la main droite et répétait comme hébété: "Merde alors ! Merde alors!" à mi-voix.
Il faut dire que le triste spectacle qu'il avait sous les yeux, méritait bien ce commentaire, à la fois concis et, teinté d'un soupçon de vulgarité linguistique. Il venait de comprendre que sa tranquillité et celle de sa brigade venaient de mourir de leur belle mort.

Finies les planques, à l'ombre du vieux chêne de la départementale, pour contrôler la vitesse des quelques rares automobilistes qui avaient eu le malheur de s'y égarer, finis aussi pour quelque temps les apéros, pris au comptoir du bistro de la place du village, en compagnie des motards de la brigade de l'autoroute qui, le casque sous le bras et le verre à la main, dégustaient les alcools locaux avec modération et assiduité, tandis que leurs motos rutilantes, faisaient la joie des gamins qui se régalaient à en tripoter tous les boutons.

Devant le gendarme Lagarrigue, à ses pieds, deux cadavres ensanglantés: ceux d'une femme et d'un homme, couple donc qui, au premier abord, devait avoir dans les quarante à quarante cinq ans, si l'on pouvait encore, après le traitement que ces deux corps avaient subi, émettre une opinion sûre quant à leur ancienneté. Il faudrait attendre l'autopsie pour sortir du domaine des suppositions pour entrer dans celui des certitudes.

A côté du gendarme, l'Antoine, le sourd muet du village, faisait grand bruit. C'était lui qui avait découvert les trucidés dans cette forêt de feuillus où, en bon braconnier, il venait relever ses pièges à lapins, tout en ramassant baies et champignons dont il se régalait.

Le "Pauvrantoine", comme le nommait tout le village, affichait la soixantaine et, comme sa surdité et son mutisme avaient apitoyé un temps la communauté de Sainte-Trique, la population avait accolé à son prénom, cet adjectif "pauvre", soulignant leur compassion et leur pitié pour ce brave garçon. Une pitié qui ne fut que passagère, pour ne pas dire éphémère.
Aujourd'hui, plus personne n'accordait le moindre cas aux difficultés natales de l'Antoine, du moment que tous pouvaient bénéficier, à bon prix, de lièvres charnus, de lapins de garenne succulents et de champignons hautement parfumés.
Dur de la feuille et mou de la langue, cela n'avait pas empêché Pauvrantoine de se révéler, dès sa tendre enfance, d'une grande acuité à découvrir dans les arbres les écureuils nouvellement nés, à dénicher dans le creux des branches les oeufs de pies, à traquer les animaux à poil et à piéger les volatiles sauvages.
Pauvrantoine avait bon pied et bon oeil et cela compensait son isolement phonique.
Aujourd'hui, pour lui, c'était un grand jour qu'il entendait bien vivre comme tel. Mieux qu'un cercle de chanterelles! Mieux qu'une demi-douzaine de girolles ou une palanquée de rosés des prés! Mieux qu'un lièvre roux ou un marcassin de quelques jours, Pauvrantoine, puisque tel est son nom, avait mis la main sur une paire de morts.

Non pas de ces morts normaux, tels qu'on en découvre de temps en temps dans les bois entourant les villages: promeneurs confondus avec un sanglier et flingué à bout portant par un chasseur ! Randonneur réduit à l'état de squelette pour avoir glissé et avoir disparu au fond d'un ravin! Suicidé dépressif n'ayant pas osé se jeter sur un Train à Grande Vitesse ou, encore, victime d'une crise cardiaque pour avoir voulu se mesurer à la pente difficile d'un chemin!

Non ! les morts de Pauvrantoine, "SES" morts à lui, présentaient toutes les qualités pour faire la Une des journaux télévisés. Ils avaient tellement été hachés menu que les caméras curieuses et gourmandes sauraient s'attarder "discrètement" sur l'absence des testicules de l'homme ou sur les seins en partie dénudés de la femme, seins dont les pointes suintaient non de lait mais de sang.
De telles images attireraient sans aucun doute une foule de téléspectateurs horrifiés, mais scotchés, devant leurs écrans, en espérant en voir un peu plus, maudissant le cadreur de ne pas élargir ses plans. On aurait dit que ce maudit technicien prenait un malin plaisir à limiter ses images à l'orée du pubis de la morte au lieu de le montrer carrément.

Par geste, en mettant son poing gauche sur l'oeil droit et en tournant une manivelle fictive puis ensuite en se montrant de ses deux pouces pointés sur sa poitrine, Pauvrantoine essayait de faire comprendre au gendarme Lagarrigue qu'il était prêt à répondre à toutes les questions des journalistes de la radio et de la télévision. Il se voyait déjà invité des journaux de 20 h de toutes les chaînes. Ah! Rencontrer Claire Ferrari ou Laurence Chasal! Quel poivre ajouté à une vie manquant d'épices!

En plus ce drame serait largement commenté! Et, le téléspectateur attentif, aurait alors cette vision quotidienne et particulière de la vie de la planète, propre aux journaux télévisés du monde entier: plus la catastrophe est dramatique, plus les présentateurs ont de la difficulté à masquer, par des mots d'apparente compassion, leur satisfaction d'avoir de la matière à enrichir leur audimat et leur portefeuille par la même occasion. Un bon drame à épisode, c'est toujours la garantie d'une inflation du prix des minutes publicitaires vendues avant le journal. Et en cas de journées sans drames, les journalistes avaient toujours un recours imparable: parler des catastrophes qui auraient pu avoir lieu. Là c'était du délire sans danger: 359 morts évités dans un avion qui ne s'est pas écrasé! 45 678 morts évités grâce à la présence d'esprit d'un simple d'esprit! l'imagination des rédactions étaient sans bornes...

Pauvrantoine, lui, qui ne comprenait rien à la fourberie journalistique, avait une envie dévorante et obsessionnelle depuis des lustres: celle de passer à la télévision. Il n'avait pas été retenu pour "Questions pour un champion", les vigiles lui ayant interdit l'entrée du palace où devaient avoir lieu les sélections (Il avait mal compris et croyait vouloir être sélectionné pour "Questions pour un champignon"); "Intervilles" de Guy Lux n'avait pas daigné venir à Sainte-Trique. "On a tout essayé" n'avait pas voulu l'accueillir quant à "Poubelle la vie" n'en parlons même pas, ce feuilleton pour débile le refusa d'emblée! Pour y participer il fallait un QI de chimpanzé et Pauvrantoine était loin de manquer d'intelligence. Aussi, seul, un fait divers pourrait sortir le braconnier de cet anonymat pesant malgré son côté campagnard et bucolique, un fait divers, bien tragique, bien sordide et bien radio-télé-visuel!

vendredi 20 juin 2014

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Chapitre 2

Hélas pour le Pauvrantoine, ce mime qui se voulait expressif, n'était compris que de lui-même. Lagarrigue, tout brigadier - presque - chef qu'il fut, ne voyait, en les explications gestuelles de son interlocuteur, qu'une danse quelque peu primitive autour du couple assassiné. Lassé, Lagarrigue tira le Pauvrantoine par le bras, et, tous les deux, après une quinzaine de minutes de marche, prirent place dans une Renault 4L bleue, fleuron de cette noble institution policière et militaire qu'est notre bien-aimée Maréchaussée Nationale.
Et, c'est secoués et à l'étroit, qu'ils atteignirent la Gendarmerie. Lagarrigue annonça la macabre découverte, prévint les autorités civiles, étatiques, politiques, militaires, qu'elles soient cantonales, départementales, régionales ou même nationales afin que soit envoyé, dans le strict respect de la loi et de la hiérarchie, la section scientifique; section qui est capable par l'analyse et l'observation des oeufs des mouches et la taille des vers, de vous dire, à la seconde près, l'heure du passage de la vie à trépas d'une victime.

Jusqu'alors, à Sainte-Trique, cette section n'avait pu exercer ses talents que sur une vache probablement empoisonnée par un jaloux qui ne voulait pas que les Comices agricoles en reconnaissent les mérites laitiers. Cet assassinat, aujourd'hui vieux d'une quinzaine d'années, avait laissé des séquelles et, parmi les éleveurs de Sainte-Trique, régnait un climat que l'on pourrait résumer en une phrase maugrée en patois par le propriétaire de la bestiole: " Bou Diou! Si lou trap lou faou oun grouss testao à lou sassin daou ma Gertaoudo", phrase que l'on pourrait traduire par: "Bon Dieu! Si j'attrape l'abruti qui s'est permis de si sauvagement et si cruellement tuer ma pauvre Gertrude, non seulement je n'aurai aucune pitié, mais encore je serai terrible. Il ne résistera pas une seconde à mon ire vengeresse!"
Cette traduction prouve, s'il en était encore besoin, l'extraordinaire richesse sémantique du parler pratiqué à Sainte-Trique et dans ses environs immédiats et la culture de ses paysans. (Ndl'A)
Et c'est ainsi que grâce ou à cause de ce double assassinat, selon les points de vue, Sainte-Trique sortit de l'anonymat de cette France profonde et républicaine qui fait l'honneur et la valeur de notre pays.

Oui, Sainte-Trique devint du jour célèbre et atteint une belle renommée dans le domaine du tourisme criminel, ce tourisme que les Parisiens aiment à pratiquer au sein des profondeurs provinciales pour se rassurer et se dire que les forêts sont quelquefois plus dangereuses que les couloirs du Métropolitain de la plus sinistre des stations.

jeudi 19 juin 2014

Chapitre 3

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Quand une nuée de journalistes s'abat sur Sainte-Trique...

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La première télévision, prévenue grâce à son numéro spécial (0,34 E la minute), fit défiler en boucle en bas des écrans, un bandeau où on lisait: Sainte-Trique: un couple a trouvé une mort affreuse dans une forêt de ce village, plus d'informations dans quelques minutes.

La seconde, informée par la première, eut un meilleur réflexe. Le directeur des programmes arrêta immédiatement l'émission en cours pour diffuser la nouvelle: Flash spécial! Une sonnerie de trompettes suraiguës. Le studio du journal télévisé s'alluma progressivement.

Lila Mentable, la star des présentatrices, apparut. Un rapide bonsoir, le regard faussement éteint et un petit sourire au coin des lèvres, la journaliste poussa un léger soupir et prit une voix catastrophée pour annoncer l'horrible information: nous venons d'apprendre un terrible massacre à Sainte-Trique. Un couple a été sauvagement assassiné, poignardé, découpé. La population est toute entière sous le choc...

C'est ainsi que les habitants de ce village eurent le privilège "d'apprendre" deux nouvelles en même temps: qu'il y avait eu un double assassinat et qu'ils étaient sous le choc. Cela donna lieu à questions entre mari et femme, assis devant leur poste.

- Jules, dis-moi un peu. Tu es sous le choc?

- Sous le choc! Hola! Comme tu y vas, ch'est dangereux d'être sous le choc de la charrue, ch'est pas des choses à faire, chais-tu ma brave Berthe!

Pendant ces dialogues bucoliques empreints de sagesse paysanne, sur l'écran de leur téléviseur, comme un doigt d'infamie désignant un coupable, une flèche montrait sur la carte de France, l'endroit exact situant Sainte-Trique, village de la honte et du crime.

La présentatrice, une espèce de poupée barbie vieillissante, enchaîna par une série de détails donnés au conditionnel.

La rédaction de la télévision ne savait pas grand chose mais elle tenait à le faire savoir. Donner en vingt secondes une telle information aussi sanglante, aurait relevé du gaspillage médiatique, d'autant que depuis huit bons jours, il ne s'était rien passé dans le monde, si ce n'est que la mousson faisait des ravages au Bengladesh et aux Indes, comme chaque année, et cela en devenait lassant à la fin: cette répétition avait tué la pitié et la générosité. Nous rappellerons pour mémoire qu'au premier Tsunami, les Organisations non gouvernementales avaient collecté des millions et des millions de dollars, au deuxième, il leur avait été signifié d'utiliser les fonds du premier et de laisser les gens regarder en paix leur Big Brother préféré car, par manque de chance et d'opportunité pour la nouvelle catastrophe, le monde entier n'avait plus qu'une unique préoccupation: Le beau Walter Closey allait enfin oser se jeter sur la chaste Hétey, lui ôter son soutien-gorge et la pousser dans la piscine!

Mais cela était déjà du passé. Hétey, romantique, avait dépassé toutes leurs espérances et dès sa sortie de l'émission, avait signé un contrat avec un producteur de films d'art et d'essais qui lui donna un rôle dans "Les seins vont en enfer" oeuvre dont l'actrice en herbe s'aperçut un peu tard qu'elle n'était pas de Bernanos.

Notons au passage qu'un grand hebdomadaire de la gauche "catho-bobo", féru de critiques de cinéma, de télévision, spécialisé dans la culture pédante et ennuyeuse, ne manqua pas d'encenser ce navet par l'intermédiaire d'un petit personnage dessiné en noir et blanc, banané et ridicule, applaudissant à paluches déployées...

Mais revenons à nos téléspectateurs. Comme nous l'avons évoqué plus haut, Il ne se passait rien sous le soleil de satan à ce jour du crime: les chaînes de télévision en étaient réduites à évoquer les drames évités, les massacres avortés, les évasions ratées!

Aussi, ce fut la ruée vers l'or de Sainte-Trique. Une occupation médiatique, un envahissement journalistique. A chaque place de parking libre, des camions relais avaient ouvert leurs paraboles et les commentateurs soigneusement peignés et maquillés, micro en main, intervenaient "en direct live" pour leur chaîne. Les témoins se succédaient devant les caméras. Ils n'avaient rien vu mais savaient tout et donnaient force détails toujours contradictoires. Un hélicoptère fit même un panoramique très réussi du village et de ses forêts avoisinantes. Ce fut un miracle si ses pales ne heurtèrent pas la ligne à haute tension, ce que certains regrettèrent.

Le maire fut interviewé ainsi que le curé.

Quant au député, revenu en hâte de Paris, il vit en cet événement une bonne occasion de glaner des voix pour les prochaines élections sans avoir, sur le marché aux bestiaux, à serrer des mains dont le cal lui était désagréable, lui qui fréquentait les salons de manucure des Champs Elysées et les dames du Bois de Boulogne.

Comme cela se passe partout et pour chaque politicien, la population l'avait vu et revu avant les élections, puis, lorsque les urnes l'avaient déclaré vainqueur, il avait disparu, il s'était volatilisé. Le village ne le retrouverait qu'en janvier, après les soldes d'hiver parisiennes en la salle communale et polyvalente, située Place Gabrielle Coulet, une sainte femme justement honorée par notre République mais dont plus personne ne se souvenait.

La qualité du buffet, offert par Monsieur le député, suivait le calendrier des échéances électorales: remarquable avant, très moyen ensuite lors des trois premières années du mandat, le dit buffet redevenait très acceptable à la veille des nouvelles élections...

Mais, cet éclairage médiatique du village ne dura pas plus de trois soirées télévisées. Outre que le sujet devenait lassant, les hôtels de Sainte-Trique et de sa région n'offraient pas un confort suffisant pour que les "stars" de l'actualité s'y attardent, il tardait à ces présentateurs et présentatrices de retrouver la capitale et ses beaux quartiers. Respirer l'odeur de la campagne ou de la banlieue, c'est bon pour l'audimat mais mauvais pour leur santé, pensaient-ils.

Aussi, tout ce petit monde d'imbus d'eux-mêmes disparut aussi vite qu'une colonie de rats menacés d'extermination par une inondation de leurs égouts.

Sainte-Trique retrouva son calme. Heureusement, pour le petit commerce de proximité, restèrent les visites des enseignants les mercredis, et des curieux les samedis et les dimanches. Il n'était pas rare de voir une ribambelle de moutards accompagnés de leur père en survêtement et baskets (ce qui ne traduisait pas forcément la qualité sportive de leur propriétaire, vu la proéminence d'une bedaine façonnée plus par les demis de bière que par les bancs de musculation)... en survêtement et baskets donc, et de leur mère visiblement abonnée aux robes roses à grosses fleurs violettes. Ce tableau, modèle de la fierté de la France, se complétait souvent d'un chien policier, tirant la langue au bout d'une laisse en maillons d'acier, accrochée à un collier étrangleur.

Tous se prenaient pour des détectives et allaient sur le lieu du crime.

C'est tout juste si ces énergumènes ne se livraient pas à une reconstitution du massacre. "J'aurais dû apporter une hache!" entendit-on même un jour de la bouche d'un de ces tranquilles et paisibles explorateurs de la chose criminelle...



mercredi 18 juin 2014

Chapitre 4

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Et si c'était lui?

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Anselme le bûcheron venait d'abattre d'un dernier coup de hache son sixième conifère de la matinée quand il décida qu'il était grand temps de faire une pause. La forêt communale de Sainte-Trique était son domaine et il y régnait en maître absolu, tel un bourreau sur sa guillotine, coupant par ci, élaguant par là, branches et troncs, ramures et billots. Le petit déjeuner qu'il avait pris, tôt le matin, n'avait plus d'effet et il commençait à ressentir comme une petite faiblesse et une grande soif. Il posa sa hache sur un parterre de bruyère propre à ne pas abîmer le tranchant de ce bel outil. Une vieille souche sèche était son sacro-saint siège, il s'y sentait comme un pape; il s'y posa sur un linge de protection de la résine comme à l'accoutumée pour prendre une collation substantielle et roborative.

Afin de ne pas traumatiser le gourmet qui sommeille en notre lectorat, car des goûts et des couleurs, il n'est point d'usage de se gausser selon le célèbre adage d'Albinoni, je dirais simplement que si Alselme l'eût posé au sol, la flûte de pain se serait déplacée toute seule tant le fromage en sa mie contenait de vers et d'asticots, mine de rien. Quant au vin, un Côte de Grazulle AOC, il pouvait également servir à astiquer les cuivres et les chromes aux zones particulièrement souillées.

Mais revenons à notre principal sujet: Anselme, le coupeur de troncs, l'effeuilleur de branche, le broyeur de bois.

Le bûcheron était un homme sans âge, sans famille et sans femme. Pour cette dernière affirmation, je me devrais d'ajouter un élément modérateur. "Sans femme", sauf le dernier vendredi de chaque mois, vendredi où il allait passer la fin de l'après-midi "à la ville". Il y avait là-bas, selon la rumeur publique et laïque, une maison à l'arrière-boutique accueillante. Des mauvaises langues ajoutaient, l'on se demande pourquoi car il ne semble pas qu'il y ait eu un quelconque restaurant dans cette honorable bâtisse, " pour aller là, il faut vraiment avoir faim!".

Toujours est-il qu'Anselme s'il ne pouvait y dîner, trouvait en ce lieu un peu de cette chaleur humaine sans laquelle la vie ne serait qu'un désert affectif. Mais ne jetons pas le manche de la philosophie sociale avant la cognée de la présentation objective de notre billot-man.

Haut d'un mètre soixante-quinze, ses épaules, comme son torse, étaient conséquents et velus. Abattre des arbres, manier la hache, la scie, la tronçonneuse, avait forgé la silhouette d'Anselme, une silhouette de véritable athlète. Son visage reflétait la vigueur et illustrait à lui seul les bienfaits, tout comme les affres, de la vie sauvage, salissante, solide et solitaire. Imberbe, son front était entouré d'une chevelure abondante et bouclée. Son regard, bleu acier, tel le tranchant de sa cognée, était à la fois fascinant et inquiétant.

Anselme, comme ce portrait le laisse entrevoir, était un habitant particulier, craint des Sainte-Triquois. L'imposante hache du bûcheron accentuait encore ce respect mérité.

Anselme, sans en avoir la moindre idée, hantait l'imaginaire des villageois. Le bûcheron était, à lui seul, une source inépuisable alimentant une multitude de phantasmes.

Combien d'épouses, de maîtresses, au moment du plaisir suprême, de l'explosion de leur corps, en augmentaient l'intensité, en imaginant être dans les bras d'Anselme! Et les maris, les amants, gros bêtas prétentieux et aveugles mettaient les extases de leurs partenaires au crédit de leurs qualités propres. Ah! S'ils avaient su...

Ce personnage fut bien sûr le premier suspect auquel Lagarrigue pensa. "Et si c'était lui?". Anselme ? A cette pensée, Lagarrigue fut pris d'une grande inquiétude. Arrêter le bûcheron serait un exploit digne des douze travaux d'Hercule, qui pourtant ne rigolait pas, contrairement à la légende populaire. Aussi, le gendarme décida-t-il de partir sur l'hypothèse de l'innocence du coupable idéal. C'était pile ou face. Ou Anselme était dans la forêt au moment du crime et là, personne pour l'innocenter immédiatement et la Gendarmerie devrait entendre Anselme comme suspect éventuel ou Anselme avait un alibi: des témoins de sa présence ailleurs que sur les lieux du crime au jour funeste et à l'heure fatale.

A son grand soulagement, (ainsi qu'à celui de l'auteur qui aurait dû finir son roman au chapitre 4, perdant ainsi toute chance d'avoir un jour le Prix Nobel de Litre et Râtures) Lagarrigue découvrit très vite qu' à l'heure du crime le bûcheron buvait une bière bien fraîche chez Léontine, la tenancière du bar de Sainte-Trique, en compagnie des motards de la brigade autoroutière qui eux, avalaient un café. (pour les boissons, il y aurait peut-être une inversion quant à leur attribution NdlA)

Ouf! fit Lagarrigue. Une corvée venait de lui être épargnée. Anselme innocent, cela ne faisait pas avancer l'enquête, certes, mais cela supprimait l'éventualité d'une terrible tornade s'abattant sur Sainte-Trique!

lundi 16 juin 2014

Chapitre 5

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Le sermon de l'abbé Styropopor

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Dans le vert de ses habits sacerdotaux, couleur des temps ordinaires pour l'Eglise. (Une période où il ne se passe rien: Noël est encore loin, Pâques encore plus et la Toussaint déjà oubliée), l'abbé Styropopor quitta l'autel, monta en chaire, (c'est à dire vont se poster derrière un micro sur pied sur le devant de la cène). Et, l'air profond et inspiré, toisa d'un regard paternel, l'assemblée des fidèles comme le berger couve du regard son troupeau et, s'approchant du micro, ne prit pas la parole, du moins immédiatement.

Il pensait! Il pensait? Il pensait avec réalisme, en contemplant les travées où s'étalaient les travers de ses paroissiens. Entrons dans ces réflexions intimes! Ecoutons sa voix intérieure: "C'est comme d'habitude... au premier rang: les bigotes et les punaises de sacristie. Derrière, quelques rosières pas encore envahies par les pulsions charnelles. Aux derniers rangs, les pressés de s'éclipser dès l'ite missa est... A droite de l'autel la cheftaine qui vient animer une messe de temps en temps, les dimanches où son petit copain n'est pas libre car, quand ce dernier n'est pas de service, elle préfère la grasse matinée à une matinée de grâce et la communion des corps à l'élévation des âmes et, ô combien, finalement, je lui donne raison, même si les plaisirs de la chair me sont interdits et que je dois me contenter de ceux de la chaire..."

Évitant de peu un haussement d'épaules de découragement, il s'encouragea par un intérieur et volontaire "Bon, on y va..." adressé à lui-même.

D'une voix assurée par l'habitude, l'abbé commença: " Mes chères soeurs, mes chers frères! Que nous dit l'Evangile de ce dimanche? Oui! Que nous dit-il ? Que nous dit-elle?"

Le bon curé n'avait jamais su retenir le genre du mot "évangile". Aussi, et c'était devenu un rituel en l'église de Sainte-Trique, il disait alternativement "il" ou "elle".

"Oui! Que nous dit cet évangile?" Là, il se sentit rasséréné "cet" ou "cette" oralement cela ne faisait pas grande différence. Plus assuré, il reprit: "Rendons à César, ce qui est à César ! Matthieu 22, 15, 21".

Sur ces mots, un paroissien un peu dur d'oreille se pencha vers son voisin:

- Qu'est-ce qu'il a dit?

- Monsieur le curé vient de donner les repères chiffrés du verset de l'Evangile d'aujourd'hui.

Les chiffres du tiercé? décidément depuis Vatican II, l'Eglise a bien changé. Enfin, si cela remplace le denier du culte... pourquoi pas! répliqua l'homme qui entendait un murmure à ses oreilles de chevaux, comme il était surnommé car ses appendices auditifs présentaient une ressemblance avec celles des équidés.


Ignorant ces réflexions, l'abbé Styropopor continua:

"... Que nous enseigne cette phrase rapportée par Saint Matthieu? Mes très chères soeurs, mes très chers frères, c'est simple, d'une simplicité tellement lumineuse qu'elle nous aveugle. Et cet aveuglement entraîne notre suffisance et notre inconscience. Pourtant c'est simple! Que s'est-il passé ici? Là! Dans notre propre village? Je vous le demande! Non! Ne dites rien! Ne répondez point! Laissez la honte vous envahir!

Là-dessus, l'abbé jeta un regard circulaire sur les travées. Certains paroissiens baissaient la tête, d'autres prenaient un air dégagé, d'autres encore regardaient discrètement leur montre. La honte qui envahit prend parfois des allures bien différentes.

Le dur d'oreille demanda:

- Qu'est-ce qu'il a dit?
- Il a dit de laisser la honte nous envahir!
- Pas question de nous laisser envahir, on a assez d'étrangers comme ça dans le village!
- Quand on sait que tout Sainte-Trique t'a surnommé l'Attila des bars, tu ferais mieux de la mettre en sourdine.
- Insolent! En sourdine! se fâchâ-t-il. J'y suis tout le temps...
Pour une fois tu as capté! C'est bien.
Et Styropopor reprit: " Que s'est-il passé? un crime, un crime horrible, un crime odieux, un crime aux dieux, à Dieu...
Et le sourd décidément en verve:
-Il a dit adieu, Il s'en va? c'est fini?
- Chuttttt! Laisse parler monsieur le curé!

La voûte en berceau retentit de ces mots:
...Un crime sanglant et barbare, un assassinat assassin de la civilisation. Et qu'est-il arrivé ensuite? Nous avons sombré dans le péché d'orgueil! L'un des plus sinistres des péchés capitaux, qui je vous le rappelle sont au nombre de 7, comme les nains de Blanche Neige, les Mercenaires...Quelle a été notre principale préoccupation? Prier pour ces deux malheureux morts dans le péché et la luxure forestière? Allumer des cierges expiateurs pour que le Seigneur les accueille en Sa maison et donne au coupable la torture d'un remords rancunier et irrémédiablement récidiviste?
Non! Deux fois non! Notre seule préoccupation a été de "passer à la télé"! comme l'on dit! Au vingt heures! A télé matines sur la chaîne du Vatican ! Et j'en passe!
Oui, mes bien chères soeurs, mes bien chers frères! Nous n'avons pas rendu à César ce qui est à César! Au lieu de laisser la gendarmerie faire son enquête, tout le village s'est mis à parader devant les micros et les caméras. Tout le village s'est mis à bavarder! Que dis-je à bavarder! A jacasser! A témoigner de ce qu'il n'avait pas vu.

En ce trentième dimanche du temps ordinaire, je vous inciterai à revenir dans le silence, à demander pardon au Seigneur. Sachons être le ferment du Royaume de Dieu pour que ce royaume se lève au coeur de notre monde au lieu de nous contenter d'être l'ivraie livrée à la dispersion, à la prétention et à l'ambition! Que les coupables soient trouvés! Qu'ils soient punis! Mais nous, gardons-nous d'empiéter dans des domaines qui ne nous appartiennent pas. Ne parlons que si nous savons et si nous ne savons pas, lavons-nous en les mains! Amen.

Cet amen fut dit d'une telle voix volontaire et forte qu'il fit sursauter le vicaire quelque peu assoupi et qui, par un réflexe professionnel, se leva. C'était le moment du Credo. Moment redouté par l'abbé Styropopor. Cet instant de la messe était devenu pour lui un cauchemar. Non point qu'il douta de la résurrection de la chair ou de l'unicité en trois personnes du Père Eternel. Non; son cauchemar était là, debout au premier rang.

Un cauchemar en deux exemplaires. Résigné, l'abbé Styropopor entama la prière. Et, comme il le savait, ce fut, une fois de plus l'enfer. Deux paroissiennes ayant dépassé d'au moins 40 ans l'âge moyen de la ménopause, pourtant bien repoussé aujourd'hui grâce aux hormones, deux paroissiennes donc, les soeurs Labusque. le curé savait qu'elles étaient sur les starting block et n'attendaient que le premier mot du Credo pour entrer en compétition élocutive avec le bon prêtre. Et c'est un miracle, si depuis le temps, l'espoir de toute la communauté de fidèles ne s'était pas réalisé: que les soeurs Labusque voient leur dentier se décrocher et les étouffent!

Elles en étaient à ...la vie éternelle, Amen! tandis que le prêtre disait à peine...à son fils unique Notre Seigneur. Essoufflées mais vivantes, la tête haute et la voilette baissée nos deux bigotes jouissaient de leur triomphe, à défaut de pouvoir jouir d'autre chose.

Les regards des soeurs se plantèrent sur celui du célébrant. Ils disaient clairement: Nous avons gagné!

Le brave Styropopor ne put s'empêcher de penser que le Seigneur, dans sa grande magnificence, pourrait faire un effort et faire entrer les deux soeurs en son Royaume des Cieux. Ce n'était pas justice que ce soit toujours les mêmes qui supportent ces deux punaises quand bien même elles seraient de sacristie. Toujours est-il que les deux vipères maigrichonnes et acerbes squattaient l'église.
Tous les jardiniers peuvent en témoigner: le chiendent résiste mieux que la bonne herbe.
Et le bon Styropopor en faisait des rêves affreux. Dans son sommeil, il vivait un double enterrement et au moment de la prière, les couvercles des cercueils se soulevaient. Blanches et décharnées. Les terribles Labusque se mettaient alors à réciter un dernier credo... En sueur, Styropopor se dressait sur son lit, le coeur au bord de la rupture définitive. Il lui fallait chaque fois un grand moment avant de pouvoir se rendormir...

mercredi 11 juin 2014

Chapitre 6
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Dans le repère de Lagarrigue...


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La gendarmerie de Sainte-Trique était considérée par ses créateurs comme un chef-d'oeuvre d'architecture rurale.

Son architecte, choisi par concours, était nippon. Ne voyons en ce choix aucune objection xénophobe. Non, c'était tout simplement que pour réussir, l'adage Nul n'est prophète en son pays, fut vérifié une fois de plus. La commission avait exclu d'entrée de jeu, les architectes au nom de consonance française et les projets d'un coût raisonnable. Il fallait pour Sainte-Trique quelque chose d'avant-garde. Et, pour l'avant-garde, les gendarmes furent servis!
Setaki Setoto, venu du Soleil levant, avait eu une idée de génie: Installer la gendarmerie dans un ancien hangar d'abattage des poulets - ça ne s'invente pas- hangar à masquer par une structure en verre, style serre horticole.

L'édification se fit en deux temps: restauration du long bâtiment et enveloppement ensuite de ce dernier d'une toile d'araignée de barres d'aluminium retenant les lourdes plaques de verre.

A la sortie, cela donnait une série de bureaux minuscules en béton brut, bas de plafond avec de toutes petites ouvertures protégées par des barreaux.
Le résultat amusa beaucoup les Sainte-Triquois. On aurait juré que les gendarmes étaient installés dans une ferme avicole. De plus, comme Setaki Setoto s'était basé sur la taille moyenne du policier nippon, les plafonds étaient trop bas et nos militaires de la paix publique rasaient les lustres de leurs képis.
Ah! Quels beaux bureaux avaient-ils! Quel chef-d'oeuvre que ces murs en béton brut rappelant un chantier abandonné, à tel point que la cellule de dégrisement était plus confortable que le bureau de l'adjudant. Quelle belle gendarmerie, inauguré par madame le Ministre elle-même en grande pompe et en tailleur haute-couture!
Oui, redisons-le avec conviction, la gendarmerie de Sainte-Trique était une oeuvre maîtresse digne des grandes réalisations architecturales de notre époque. Marseille a son "fada" avec Le Corbusier, inventeur de la laideur verticale, Sainte-Trique avait eu Sataki Setoto, qui dès le projet achevé, s'était attaqué à celui d'une galerie souterraine géante dont la construction était prévue à Venise. (projet aujourd'hui abandonné vu l'état des profondeurs vaseuses de cette cité.)
Mais, revenons à Sainte-Trique, l'événement le plus intéressant survint lors de la première tentative d'introduire l'Estafette de la gendarmerie dans le garage souterrain. Le gyrophare ne résista pas au franchissement de la rampe d'accès. Il fut arraché. Là aussi, le plafond du nippon n'était pas aux normes européennes.
Enfin l'on commença à s'en rendre compte dès les premières légères chaleurs printanières que la construction ne ressemblait pas seulement à une serre. Elle en était vraiment une.
Les panneaux vitrés transformèrent les bureaux en étuve, les couloirs en sauna, l'accueil en hammam. Les gendarmes transpiraient, étouffaient, suaient, s'épongeaient, s'essuyaient.
Seul avantage au tableau, les plantes tropicales qui décoraient l'entrée poussèrent à une vitesse extraordinaire! L'accueil ressembla bientôt à l'entrée du pavillon tropical d'un jardin des plantes. Les caoutchoucs, les manguiers, les orangers, les bananiers envahissaient l'espace, heureux comme des papes à Razzi, célèbre village côtier de la botte italienne où les souverains pontifes aiment à faire de courts séjours régénérants.
C'est en ce lieu impropre à la réflexion que Lagarrigue avait son bureau. Sur sa table, tous les documents relatifs au crime, une première liste du suspects et trois bouteilles d'eau minérale.
En jetant un coup d'oeil par-dessus l'épaule de Lagarrigue, on pouvait lire: Pauvrantoine, Anselme, Labusque, Styropopor, Eva Riste, Léontine... Mais le gendarme se leva et cela masqua cette feuille. Impossible d'en lire plus.