jeudi 12 juillet 2012

Chapitre 7

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Pourtant que la montagne est...

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La petite histoire rapporte que Monsieur Seguin amusait ses amis et visiteurs en interrogeant sa chèvre en ces termes: "Comment est la montagne?" "Bêhlll" répondait le brave animal. Cela inspira, selon la légende, le grand Jean Ferrat.
De par la nécessité de son métier de compositeur, ce dernier relut l'oeuvre d'Alphonse Daudet. Il y cherchait une inspiration paysanne et bucolique en accord avec son personnage d'amoureux des espaces vides d'humains mais couverts de forêts et de verdures.

Ferrat pensait trouver chez le père du Petit Chose quelques idées à creuser. Il avait bien pensé commencer par les "Oeufs d'Elsa" pour célébrer les aviculteurs de Saint-Agrève et de La Louvesc, mais le vieil Aragon lui aurait arraché les yeux.

Il renonça donc, et, fouilla dans l'oeuvre du vieil Alphonse, ce célèbre prosateur, exilé, pour cause de faiblesse pulmonaire, à Fontvieille.

Ah! Fontvieille! Village de cette Provence si chère aux Parisiens où ils viennent attraper le mal de la mort au premier coup de Mistral. (je parle ici du vent, pas du Félibre qui lui, était non seulement poète mais aussi doux que l'agneau que la chèvre de Monsieur Seguin aurait pu avoir si elle n'avait point été faire des bêtises dans la montagne).

(Afin de rassurer le lecteur, la phrase précédente est destinée aux Parisiens qui n'ont jamais vu d'inconvénient à ce qu'une chèvre stérile adopte un agneau orphelin et notons au passage que Mistral rendit hommage à la chèvre de Monsieur Seguin en portant la même barbiche qu'elle. NdlA)

Jean, le Rouge (oui à l'époque Jean Ferrat était plutôt de la gauche tendance Moscou) relut les "Lettres de mon Moulin" et les principaux romans de l'asthmatique prosateur.

"Tartarin de Tarascon" n'inspira pas Ferrat. Il se voyait mal, avec sa voix chaude et sensuelle, chanter:"as-tu vu la casquette, la casquette! as-tu vu la casquett'de Tarascon! "Les Trois Messes Basses" arrêtèrent un instant notre poète à l' anticléricalisme poétique notoire et faillirent devenir une chanson dont le titre eût été: "Le Sabre et le Réveillon". Cette chanson existe aujourd'hui, certes, mais sous le titre :"Le Sabre et le Goupillon".

Persévérant dans sa lecture du squatter de moulin, Jean l'Ardéchois lu encore, en cure alors à Vals les Bains, avec son pote Hemkine: "Le Secret de Maître Cornille".

Tout le monde connaît cette histoire où un meunier est la victime du capitalisme impitoyable qui le conduit à la ruine. Histoire qui finit bien grâce à l'esprit de solidarité des camarades qui soutiennent le combat du meunier spolié. Ferrat en tirera cette oeuvre: "C'est un joli nom Camarade, c'est un joli nom Meunier".

Le bon Jean tomba ensuite sur les exploits linguistiques de cette chèvre, propriété de Monsieur Seguin, célèbre aujourd'hui, et dont la houppelande - vêtement de dessus, large et sans manche, à col plat - était faite de longs poils blancs.

Jean s'arrêta tout net. Une lueur traversa son esprit avant de faire frissonner sa moustache... (ce dernier phénomène étant un effet dû à l'électricité statique produite pas la lueur).

"Pourtant que la montagne est bêle". Quelle bêle phrase. Pardon! Quelle belle phrase! Et tout naturellement "Bêle" devint "belle", pas de quoi en faire un fromage...(un petit plaisantin aurait voulu ajouter: "de chèvre!" mais l'auteur qui veille à la bonne tenue de son roman ne cautionne pas cette suggestion)... Peut-être, mais un chef-d'oeuvre oui!

Vous allez me dire chers lecteurs: "Quel rapport avec Sainte-Trique?" Rassurez-vous! J'y viens. Les réflexions historico-musicales que vous venez de lire sont de Monsieur le Maire de Sainte-Trique, Anastase Brasticou (Premier magistrat de mai 70 à juin 75), prédécesseur de Nicandre Brouillon, l'actuelle tête de la municipalité.

Je ne fais que rapporter vaguement mot pour mot le discours enflammé que prononça Monsieur le Maire lors du Conseil municipal public, deux mois après le drame. En voici d'ailleurs la suite et la fin:

Oui! La montagne de Sainte-Trique est belle. Belle comme la chanson. Belle et même splendide! Redevenons un centre de joie et de tourisme. Retrouvons la paix et le calme! Redonnons aux amoureux traumatisés, aux touristes apeurés, aux promeneurs enfuis, aux Japonais égarés, le goût de pénétrer dans nos sous-bois, de s'allonger dans nos clairières, de cueillir des violettes, des coquelicots, des tulipes sauvages et des colchiques, des primevères et des marguerites! Demandons à la Gendarmerie d'accélérer l'enquête! Nous voulons l'arrestation du ou des coupables! Oui! Mes chers compatriotes, la République ne peut tolérer l'impunité! Votons unanimement et tous ensemble d'une seule voix! Votons un crédit exceptionnel au gendarme Lagarrigue. Un crédit qui lui permettra la location d'un chien policier pour une durée de trois semaines!

Le Conseil Municipal fut totalement enthousiasmé par cette proposition. Monsieur le Maire, s'il n'avait pas été aussi bedonnant eût été porté en triomphe. (sauf par l'élu écologiste qui regrettait cet appel à la cueillette des fleurs, cueillette dramatique dans le cadre du contexte actuel où l'ozone se réchauffe et la planète se troue!)
Un chien de la ville! Un vrai chien policier renifleur d'indices. Le coupable n'avait qu'à bien se tenir! L'espoir emplit les coeurs des Sainte-Triquois.

Et c'est ainsi que le gendarme Lagarrigue vit débarquer, quelques jours plus tard, un maître chien flanqué d'un canidé au long pelage blanc, répondant au nom, peu rassurant, de Gévaudant.
Tapant d'un doigt sur la machine à écrire Underwood modèle 1932, modifiée 35, outil de prestige et de bonne rentabilité, Lagarrigue se mit au rapport immédiatement.
(Notons pour rassurer nos lecteurs, que la brigade de Sainte-Trique attendait avec patience l'ordinateur promis depuis... depuis un certain temps)
Oui, la montagne de Sainte-Trique était belle mais sa beauté n'empêchait pas que le mystère planât sur ce sombre crime odieux. Tout le village comptait sur Gévaudant.

dimanche 11 mars 2012

Chapitre 8

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Gévaudant ...

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Gévaudant était un superbe berger de Maremme, (à ne pas confondre avec les huîtres qui elles, sont de marennes NdlA) de 40 kg et de 70 cm de hauteur. Tout de suite, il devint la coqueluche des enfants. Gévaudant méritait mieux que son nom. C'était un animal très impressionnant certes, mais au caractère doux et docile. Tout le contraire du caractère - en général- des épouses Sainte-Triquoises. (Remarque d'un villageois désobligeant et misogyne nullement cautionné par l'auteur).
Quand il arriva à Sainte-Trique - le chien, pas le villageois misogyne - certains habitants, en difficultés oculaires, crurent tout d'abord que la Gendarmerie avait acquis une chèvre, tant de loin, le gabarit semblait le même, mais la noblesse, la beauté de cet animal ne laissa pas le doute planer très longtemps, sans vouloir vexer la gens caprine dont ne serait-ce que la production de fromage doit inciter au respect. Et lorsque l'on apprit, qu'en plus d'appartenir aux Forces de l'Ordre, Gévaudant ne s'endormait que si son maître lui laissait écouter l'andante du Concerto 21 de Mozart! et avoir lapé un bol de tisane à la camomille. Précisons également d'avant de s'engager dans l'armée comme gendarme quadrupède, Gévaudant avait appartenu à un dentiste qui aimait beaucoup la gens canine, mais laissons ce détail. 

Dès la douce montée chromatique des cordes, habilement soutenues par les hautbois et les clarinettes, (L'auteur veut prétentieusement montrer ici sa culture musicale. Note d'un lecteur clairvoyant), Gévaudant posait sa tête entre ses pattes et restait les yeux mi-clos.

Aux trois premières notes du piano, venant s'insérer dans l'orchestre, légères comme des papillons butinant la plus belle des fleurs, Gévaudant poussait un soupir de satisfaction, heureux de cette pause dans sa vie de chien. Enfin, il s'assoupissait et on aurait juré qu'il s'était envolé pour un éden fait de croches, de demi-croches, de portées et de clés de sol ou d'Ut. Enfin, Gévaudant fermait les yeux comme pour mieux jouir de cette musique divine. Il ne tardait pas alors à sombrer dans un sommeil profond.


Tandis que Gévaudant dort, il est temps de s'intéresser à son maître gendarme avant que le lecteur ne s'offusque d'une présentation privilégiant l'homme à l'animal.

Le maître chien répondait au nom de Aristobule Nicandrame. Aristobule étant son prénom, comme tous nos lecteurs l'ont immédiatement compris et"Nicandrame" son nom. En uniforme bleu-nuit, Aristobule avait fière apparence à côté de son animal. Les couleurs se mariaient parfaitement. En plus, l'homme et la bête avait un air de famille pour l'observateur attentif. Au pelage ivoire de Gévaudant répondait la chevelure blanchie du longiligne Aristobule, nonobstant sportif malgré son demi-siècle dépassé. Et, est-ce leur quotidienne fréquentation, mais les traits du museau d'Aristobule présentaient des similitudes avec ceux de la tête de Gévaudant (ou vice versa). Mais, chers lecteurs, comme l'on s'intéresse toujours plus à l'animal qu'à son maître, je mettrais un point final provisoire à la description d'Aristobule. Disons simplement que ce gendarme cynophile avait un excellent caractère, qu'il aimait le grand air en général et les grands airs de l'opéra en particulier, qu'il détestait les collections de timbres et les femmes de moins de 1,55 m. "C'est la catégorie des emmerdeuses" disait-il. A ce sujet, l'auteur souligne que cette opinion ne l'engage en rien, bien qu'il trouve qu'il y aurait une certaine vérité dans cette allégation selon son expérience personnelle et un sondage dans son entourage.

Enfin, précision hautement linguistique et historique, Aristobule aimait à préciser le rôle de la lettre "t" dans le mot "Gévaudant". C'était tout simplement pour que l'on ne confonde pas son chien avec la tristement célèbre "bête du Gévaudan" Sans "T"... et oui, sans le "T" Le chien du gendarme perdait sa "Terribilité". Comme quoi une lettre peut changer bien des choses!


Chapitre 9
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Quand Gévaudant et Aristobule mènent l'enquête
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Gévaudant et Aristobule partirent dans la 4L (fleuron de la noble institution républicaine et encore militaire de la Gendarmerie, petit rappel de l'auteur) pour se rendre sur le lieu du crime. Cahotante, la brave petite auto, quitta la départementale pour emprunter le chemin forestier. Sur la banquette arrière, Gévaudant tenait à lui seul les deux places. Devant, au volant, Lagarrigue décrivait le paysage au maître chien. Quelques minutes plus tard, ils abandonnaient le véhicule pour se frayer, à pied, un passage sur un sentier de chasseurs.

Lagarrigue s'arrêta enfin et dit: "C'est là!"
Le gendarme de Sainte-Trique sortit une poche en plastique transparent.
- Vous allez faire des tests d'alcoolémie? demanda en souriant Aristobule.
- Il y a dedans un vêtement ayant appartenu à la victime, dit le représentant de la Maréchaussée.
- Ne soyez pas aussi pudique Lagarrigue! Un chat, c'est un chat, un string, c'est un string!
- C'était à la femme, reprit Lagarrigue comme pour s'excuser.
- Le contraire m'eût étonné! Mais par l'étang qui stagne et les temps qui courent, on ne sait jamais!
Sur ce, Aristobule prit le sachet des mains de son accompagnateur, l'ouvrit et le mit sous le museau de Gévaudant qui huma longuement le tissu. (ou du moins le tout petit morceau de fils entrelacés, car vu la taille du string et les larges trous formés par la dentelle, il n'y avait pas pour lourd de coton).
Quelques instants plus tard, le Berger de Maremme tirait sur sa laisse. Il traversa un fourré, retrouva une sente et, suivi par son maître commença à redescendre la colline en direction de Sainte-Trique. Lagarrigue les laissa à leurs recherches. Il revint à sa voiture et prit la direction du village et de sa gendarmerie.
Et c'est ainsi qu'une heure après son retour en ce haut lieu de l'art architectural japonais et agricole, siège de sa brigade, Lagarrigue aperçut par l'immense baie vitrée de son petit bureau, le duo Aristobule - Gévaudant.
Gévaudant, toujours la truffe à la hauteur d'un balai d'aspirateur en activité, entraînait son maître dans son sillage. Ils trottinaient tous les deux. Gévaudant, au grand soulagement du gendarme de Sainte-Trique, ne s'arrêta pas. Donc, les gendarmes semblaient exclus du lot des suspects.

La brave et bonne bête traversa tout le village, buvant au passage quelques lampées d'eau fraîche dans la vasque semi-circulaire de la fontaine de la Place des Platanes, emprunta la Rue de la Place puis celle de la Mairie et arriva enfin devant le presbytère. Là, il aboya, gémit doucement et se coucha.

De ce comportement, Aristobule déduit qu'il était arrivé à la fin de la piste suivie par le chien. Cela le laissa perplexe. Il demanda à Gévaudant: "Tu es sûr de toi?" Ce à quoi Gévaudant répondit par un aboiement bref et affirmatif.

Aristobule décida de retourner à la gendarmerie faire son rapport. A celui-ci, Lagarrigue comprit que le chien les avait conduits à l'appartement du vicaire de Sainte-Trique, appartement jouxtant celui de l'abbé Styropopor.

- Ne perdons pas de temps! déclara le gendarme. On y va!

A peine cinq à six minutes après cette ferme décision, Aristobule et Lagarrigue sonnaient à la porte peinte en bleu de l'appartement de l'abbé Anazabarbe. Ils n'obtinrent aucune réponse.

- Il doit être en visite ou dans l'église!
- Possible, déclara Lagarrigue.
- Vous pensez qu'il est le coupable?
- A première vue, non, je connais bien Anazabarbe. Il a une aversion pour la forêt et les insectes, c'est comme une phobie, une peur bleue. De mémoire de gendarme et des habitants de Sainte-Trique, jamais personne ne l'a vu dépasser la clairière du cimetière. On dit qu'il déteste les insectes, qu'il est allergique au pollen et aux abeilles!
- Pourtant Gévaudant...
- De toutes les façons, on peut toujours vérifier son emploi du temps, ça n'engage à rien et ça enlèvera des doutes.
Lagarrigue et Aristobule décidèrent de revenir en fin d'après-midi.
- Toujours personne!
Ils décidèrent d'aller se renseigner auprès de Monsieur le Curé.
-Entrez-mes enfants! dit Styropopor. Quel bon apéritif vous amène.
- Pas exactement un apéritif, ou du moins pas tout de suite. Savez-vous où se trouve l'abbé Anazabarbe?
- Chez lui, normalement! mon cher gendarme!
- Et bien non!
- Non ???
- Non!!!
- Impossible, dit l'abbé Styropopor. C'est le père Anazabarbe qui fait le sermon demain à la grand-messe! Il devrait être à sa table de travail ou à genou sur son prie-dieu pour implorer l'inspiration divine. Nous y allons immédiatement après que je vous aie fait goûter mon dernier vin de messe, un vrai breuvage des dieux, pardon, pas "des" dieux. Je suis en principe monothéiste! Un breuvage paradisiaque et divin. En kir, ce vin blanc est parfait.

Lagarrigue et Aristobule tentèrent de refuser.
- Allons! Allons! Mes enfants! Il est presque 19h 30... A cette heure-là, la gendarmerie est sur répondeur. Trinquons modérément certes, mais trinquons ensemble à l'amélioration et à l'amendement du prochain, deux points auxquels vous et moi, travaillons de concert dans des voies différentes.
Et bientôt, trois verres s'élevèrent dans la pièce...
- A la nôtre! dit Lagarrigue.
- Et à la Sienne! ajouta pieusement Monsieur le curé, les vignes n'appartiennent-elles pas au Seigneur? Son premier miracle ne fût-il pas de transformer l'eau en vin, en un excellent vin digne d'un grand millésime si l'on en croît les témoins de l'époque!
Laissons un instant nos trois amis boire en paix leur apéritif en notant, au passage, que les olives, spécialement préparées dès leur cueillette par l'abbé Styropopor, avaient une réputation d'excellence bien méritée.

Chapitre 10

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Anazabarbe, vicaire de Sainte-Trique...
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Les olives avalées, les noyaux abandonnés et les verres vides, L'abbé Styropopor, Lagarrigue, Aristobule et Gévaudant décidèrent d'aller frapper à l'huis du vicaire. Anazabarbe ne répondit pas plus qu'avant leur dégustation olivo-vinicole.
- C'est étonnant ! déclara Le curé de Sainte-Trique. Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé.
- Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois? demanda Lagarrigue par réflexe professionnel.
- Hier matin. J'ai le double des clés de l'appartement d'Anazabarbe. Je vais les chercher et j'ouvre!
Quelques instants plus tard, la serrure grinçait sous la pression de la clé. Deux tours et le trio pouvait pousser la porte. L'obscurité était totale. Lagarrigue pressa l'interrupteur. Rien. L'électricité était coupée. Aristobule gratta une allumette et dit:
- Mais, mais! On dirait qu'il n'y a rien dans cet appartement!
- Je vais au compteur pour que la lumière soit!
Et lorsque la fée électricité fut de nouveau opérationnelle, Styropopor poussa un cri d'étonnement :
- Votre première impression était la bonne! Il n'y a plus rien dans cette pièce: pas un meuble, pas un papier!
Lagarrigue et ses deux amis ne purent que constater qu'il en était de même dans le bureau, dans la chambre et dans la salle de bain. Toutes les pièces étaient vides. Désespérément vides. Le vicaire Anazabarbe avait disparu, corps et bien. Quel iceberg ce Titanic ecclésiastique avait-il pu bien rencontrer?
- C'est à n'y rien comprendre ! Par tous les saints du paradis! Mais où est donc Guihon!
- Guihon? demanda Lagarrigue étonné.
- Guihon, reprit l'abbé Styropopor, c'est le prénom de mon vicaire et Anazabarbe c'est son nom, je croyais que cela coulait de source...
- Source ou pas, coupa Aristobule, l'appartement a été vidé et sans violence! Pas de traces de lutte! Donc votre Anaste à barbe a volontairement disparu de la circulation.
- Anazabarbe ! corrigea Styropopor;
- Va pour Anazabarbe, avouez que le pauvre vicaire n'avait pas de chance avec son nom de famille. C'est peut-être ce qui l'a poussé à entrer dans les Ordres. Vous imaginez s'il s'était marié? J'entends d'ici les commentaires : "C'est la femme d'Anazabarbe!" la pauvre épouse !
- Ce n'est pas le tout! Mon cher curé, avez-vous une idée quant au mobile de cette disparition?
- Aucune! Anazabarbe n'avait qu'une passion et qu'un amour: la bicyclette!
- Et Dieu dans tout ça ? demanda Aristobule qui avait beaucoup écouté Jacques Chancel et "Radioscopie" sur France Inter.
Le curé de Sainte-Trique semble réfléchir un instant puis répondit:
- Anatabaze...
- Anazabarbe!
- Anazabarbe, vous avez raison Lagarrigue, même moi, j'ai du mal à m'y habituer! Et son prénom Guihon! Quand on sait qu' Anazabarbe était champion de France des cyclistes ecclésiastiques ! Guihon! Vous vous rendez compte! Ici tout le monde le surnommait Guihon de vélo! Un si joli prénom biblique tourné ainsi en dérision!
- Il y a un championnat de France cycliste ecclésiastique? s'étonna Lagarrigue.
- Bien sûr, reprit l'abbé Styropopor. C'est une course qui commence à l'aube, près de Troyes le dimanche de Pentecôte. "Pente" "côte" quelle belle fête pour les amateurs de vélocipèdes!
- Anazabarbe! Un coureur! déclara Aristobule, ça alors!
- Cycliste! Un coureur certes mais cycliste! Aurait-il fait une mauvaise chute?
- Impossible! Avec tous les meubles déménagés, il ne reste que deux possibilités: l'enlèvement suivi d'un cambriolage en règle, mais je n'y crois pas - l'abbé Anazabarbe n'était pas assez riche pour cela - et la disparition organisée, dit Lagarrigue.
- Disparu? s'étonna Styropopor. Pourquoi ? Un si bon vicaire !
- Pas pour entrer dans les Ordres, votre vicaire y était déjà! Pour entrer dans le désordre! C'est à dire mener une vie normale d'homme, d'homme qui en a assez d'enfourcher uniquement sa bicyclette! déclara Aristobule.
L'abbé Styropopor aurait bien apaisé son désarroi en s'affaissant dans un fauteuil, mais en l'absence de cette commodité de la conversation, il se contenta de s'appuyer au mur et dit:
- J'en déduis donc que mon vicaire avait soigneusement tout préparé avant de quitter Sainte-Trique. Comment se peut-il que personne ne se soit aperçut de rien. Une armoire, une commode, un lit, des livres, un bureau, des chaises... Cela ne disparaît pas comme ça!
- Sans compter le raton laveur, ajouta Lagarrigue qui avait des lettres en poésie.
- Qu'il coule des jours heureux! appuya Aristobule avec un grand sourire.
- Seul ! J'espère.
- Mon père! mon bon père, vous êtes un peu naïf.... Si Anazabarbe s'est ainsi évaporé, c'est qu'il y a de l'amour là-dessous!
- L'amour du prochain? essaya de suggérer Styropopor qui décidément s'accrochait à son idée.
- En quelque sorte, mais, je penche pour l'amour pour un ou une prochaine. Votre abbé était beau gosse, c'était presque du gâchis que son célibat.
Enfin il a ouvert les yeux! Il a jeté, symboliquement sa soutane aux orties et il entre dans la vraie vie! Par contre, je me demande pour quelle raison Gévaudant m'a conduit jusqu'ici après avoir humé la pièce à conviction trouvée sur les lieux du crime. Cher Lagarrigue, il nous faut élucider ce mystère !
- Je compte sur vous aussi, cher Aristobule. Avec votre ami à quatre pattes, vous avez plus d'un string à votre arc. Vous voyez, j'appelle un chat un chat! Souvenez-vous!
- Qu'allez-vous faire pour retrouver mon Anazarbe? Qu'est-ce que je vais dire à l'archevêque? à la presse? à tous les paroissiens!
- Dites-leur que la vérité sera bientôt connue, et que le bonheur de l'un fait souvent le bonheur des autres, contrairement aux idées malveillantes. Eh! Eh! Quel petit coquin cet Anazarbe! En route Aristobule, nous retournons à la serre pour lancer un avis de recherche et jeter un oeil sur les pièces à conviction... On a du string, pardon! du pain sur la planche...

Chapitre 11

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Du royaume de Léontine au canapé du petit Turibe

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Lagarrigue et Aristobule étaient perplexes. Ensemble, ils tournèrent et retournèrent les deux problèmes qui venaient de surgir et se greffer sur leur enquête. Une question se posait: Anazabarbe pouvait-il être l'horrible assassin du couple découvert dans la forêt de Sainte-Trique? Si oui, pourquoi avait-il disparut aussi soudainement alors qu'aucun soupçon ne pesait sur lui. Et s'il n'était pas coupable, pourquoi Gévaudant avait-il suivi une piste initiée par le string de la victime et conduit son maître au domicile du vicaire?

Le seul moyen de le savoir était de retrouver au plus vite l'abbé Anazabarbe, de l'interroger et d'élucider ce mystère. Les gendarmes firent le tour des personnes susceptibles d'être au courant des projets secrets du vélocipédiste religieux.

Aristobule, ne pouvant que donner un avis extérieur, laissa Lagarrigue mener la réflexion. Par élimination, Il ne restait selon ce dernier que deux personnes capables de les informer: Léontine, la patronne du bar restaurant du village et Turibe "le canapé" surnommé ainsi pour son amour de la sieste.

Ainsi, Lagarrigue et Aristobule décidèrent de se rendre illico au royaume de Léontine, encore ouvert en cette soirée.

- Léontine est un monument historique de Sainte-Trique! et tout en faisant à pied les quelques trois cent cinquante mètres séparant la gendarmerie du restaurant, Lagarrigue traça un portrait de cette maîtresse femme.

- Léontine règne sans partage sur son bar restaurant. On y mange très bien d'ailleurs, parfois, dit Lagarrigue en soulignant au passage le "parfois". L'addition est aléatoire, selon certaines mauvaises langues, elle dépend de deux facteurs: votre tête et l'humeur du jour de la patronne. La décoration de la salle est faite de vieux billets de banques et d'objets en rapport avec la police et la gendarmerie: casques, képis, badges.

Et le gendarme continua:

Chez Léontine, vous trouverez deux catégories de personnes: ses sujets et ses courtisans. Ses sujets sont ses employés et ses courtisans ses habitués: des agriculteurs en retraite et des policiers en activité. Ah! J'oubliais, il y a une sous catégorie: le client occasionnel. Il est considéré par tous comme un intrus. Ordre est donné par la patronne de servir à cet égaré, des barrettes de poisson panés à peine décongelées. Ainsi, vous vous en doutez, l'intrus ne revient jamais chez Léontine!

Son physique? Dans un casting, Léontine serait tout de suite retenue pour jouer le rôle de La Castafiore! Voilà pour Léontine. J'ajouterais qu'elle est au courant de tout, elle est la totalité des RG à elle seule! Vous pensez! Il y a plus de volailles au mètre carré chez elle, dans son bar-restaurant que dans le poulailler de la mère Lagrande!

- Et "Le Canapé" comment vous l'appelez déjà? demanda Aristobule.

- "Turibe", "Turibe Le Canapé". C'est un petit bonhomme qui hante et habite Sainte-Trique depuis ses premiers langes. Il connaît tout de la grande et petite Histoire de notre village. Et quand il ne la connaît pas, il la réécrit. C'est le petit Michelet du coin. Vous voulez savoir pourquoi il est surnommé "Le Canapé"? Eh bien, je vais vous le dire! Après son déjeuner, Turibe, même s'il a des visites, a l'habitude de s'allonger sur son canapé et de faire un petit somme.

Cela dure depuis des lustres, puisqu'il a dépassé les soixante-dix ans. Tout le village connaît cette habitude. Personne ne sait qui a eu l'idée de ce sobriquet. Toujours est-il que, pour Sainte-Trique, Turibe est devenu, définitivement "Turibe le Canapé".

C'est un homme au courant de tout, un peu journaliste, un peu écrivain, un peu détective, un peu musicien, un peu cycliste et très curieux. Lui doit savoir où est Anazabarbe.

A ces derniers mots, Lagarrigue resta pensif un instant. Il venait de se rendre compte que certains habitants de Sainte-Trique étaient bien mieux informés que la Gendarmerie. Il se promit d'y mettre bon ordre.

Quelques pas plus tard, Lagarrigue et Aristobule entraient dans le bar-royaume de Léontine. Le gendarme balaya la salle du regard et dit:

- Bingo!

- Bingo?

- Oui! Aristobule! Regardez! à droite du comptoir. L'homme à la chemise à carreaux rouges et bleus, c'est Turibe et la frisée, pardon, la dame aux cheveux frisés, sa troisième épouse ou sa quatrième. Turibe est un chaud lapin épouseur!

- Epouseur? s'étonna Aristobule. C'est un mot qui existe?

- Peut-être pas. Mais il me plaît bien...

- Par qui commençons-nous?

- Par Turibe! répondit Lagarrigue. Il faut y aller avec diplomatie. C'est un personnage qui se vexe facilement. Et si nous le vexons, il se fermera comme une huître et alors, nous n'en tirerons plus un mot.

- Et pour ne pas le vexer?

- Le prendre par la corde sensible: le faire parler de lui, de ses articles dans la presse locale, de ses voyages à bicyclette. Ensuite, lorsqu'il sera en confiance, nous amènerons la conversation sur la disparition de l'abbé Anazabarbe. Mais avant toute chose, ajouta à voix basse Lagarrigue, allons saluer la maîtresse de ce lieu: Léontine. Je vous invite. Vous voulez boire...?

-Un demi-pression! interrompit Aristobule.

- Léontine! Deux demi-pression s'il vous plaît! demanda Lagarrigue.

- Vous mangez! demanda cette dernière d'un ton impératif.

- C'est délicieux chez vous! Toujours délicieux! Mais pardonnez-nous, chère Léontine. Nous avons encore beaucoup de travail!

- Le travail! le travail! Il peut un peu attendre! Je vous sers une omelette. Allez-vous asseoir là.

Léontine désignait une table un peu à l'écart. Ni Lagarrigue, ni Aristobule n'osèrent dire non. Ils se retrouvèrent assis en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire. Léontine en personne vint mettre leurs couverts et leur apporter les bières.

- Vous prenez quelque chose avec nous ? demanda Lagarrigue.

- Si vous croyez que j'ai le temps!

- Vraiment rien? insista le gendarme.

- Rien ce soir! c'est pas possible.

Et Léontine les abandonna.

- Nous allons inviter Turibe à notre table! dit Lagarrigue. Sur ce, il se releva et alla lui parler à voix basse. Aristobule observa que le sourire de Turibe s'accentuait au fil des secondes aux paroles de Lagarrigue.

Trois minutes plus tard, Turibe était assis à la table des deux gendarmes...

Chapitre 12
Les confidences de Turibe le Canapé.
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Les présentations faites, Turibe le Canapé était radieux. Il se sentait important entre les deux gendarmes. Invité, il commanda une limonade menthée, sa boisson préférée, précisa-t-il, depuis son douzième anniversaire.
- Je suis sobre comme un dromadaire, jamais d'alcool toujours des bulles! C'est ce qui me permet de garder cette enviable santé. Je lis beaucoup, je dors bien. Le secret de ma forme, c'est la sieste après le déjeuner. Une sieste d'une demi-heure, une habitude, un rite auquel je ne déroge jamais.
Lagarrigue qui avait sa petite idée demanda:
- On m'a aussi raconté que vous étiez un grand sportif!
- Je marche beaucoup tout autour de Sainte-Trique. Une marche archéologique, si je puis dire. J'explore les oppidum, les combes, les cluses, les anfractuosités des collines, les gouffres des monts, les lits asséchés des rus oubliés, je suis les sentes des chasseurs et les descentes démontées, démantelées par les pluies orageuses, les averses pluvieuses et les grêles des Ides de mars... Je randonne comme l'on dit aujourd'hui.
Aristobule qui avait compris où Lagarrigue voulait en venir murmura:
- Vous randonnez seulement?
- Non bien sûr! Je pratique la boxe française mais seulement devant mon miroir pour éviter les mauvais coups, la natation au mois d'août et...
- Le cyclisme! ne put s'empêcher de dire Aristobule.
- Comment vous le savez? demanda Turibe, méfiant.
Aristobule sentit l'arête qui risquait de bloquer Le Canapé. Il réagit immédiatement:
- Un homme comme vous aime forcément parcourir aussi les routes autrement qu'à pied! Votre curiosité pour le monde doit vous pousser à élargir votre rayon d'action. Le vélo en est un bon moyen.
Turibe sourit. Lagarrigue reprit espoir.
- Oui! j'aime le cyclisme. Vous avez deviné. J'en fais, comme l'on dit, deux fois par semaine.
- Seul?
- Souvent seul. Je roule à mon rythme. Des fois pas...Cela dépendait.
A ces mots, Lagarrigue et Aristobule sentirent comme un regret dans la phrase de Turibe.
- Cela "dépendait"? Vous parlez au passé? souligna le gendarme de Sainte-Trique.
- Oui, maintenant je vais rouler seul...
- Une autre limonade? proposa Aristobule.
- Vous voulez me faire boire! fit semblant de s'indigner Turibe. Et ainsi récolter mes confidences.
- Nous pourrions les récolter sans ce stratagème! plaisanta Lagarrigue.
- Tout ce que je sais, vous le savez aussi! Gendarme!
- Je n'en suis pas si sûr. Je voudrais vous parler de l'abbé Anazabarbe. Vous le connaissiez?
- Bien sûr! Comme tout Sainte-Trique! Un sacré rouleur, capable d'aligner deux cents kilomètres de vélo en moins de quatre heures! Un vrai pro, reconnu d'ailleurs puisque sacré champion de France ecclésiastique! Et beau gosse!
- Justement, parlons un peu de ce beau gosse! dit Aristobule.
- Rien à dire!
- Nous venons de constater qu'il a abandonné son appartement au presbytère.
- C'est du domaine de sa vie, de sa vie privée, il est majeur et baptisé! constata Turibe.
- Tout à fait! Mais il y a un petit problème, le chien d'Aristobule a suivi, après que l'on lui ai présenté le string de la victime, une piste. Et cette piste nous a conduit à l'appartement d'Anazabarbe! C'est cela que nous voulons élucider: pourquoi cette piste?
- L'abbé Anazabarbe n'aurait pas fait de mal à une cigale! Et pourtant, s'il y a un insecte qui vous stridule les nerfs, c'est bien celui-là!
- Alors, si vous savez où il se trouve, dites-le nous. Nous gagnerons du temps, c'est tout, déclara Lagarrigue.
- Vous voulez l'arrêter? s'inquiéta Turibe.
- Non! seulement l'entendre.
Turibe sembla réfléchir et déclara très vite.
- Il habite à cinquante kilomètres d'ici. Il est amoureux et heureux.
- Vous pouvez sans crainte être plus précis, dit Lagarrigue. C'est juste pour gagner du temps. Innocenter un innocent laisse plus de temps pour culpabiliser les coupables! Il faut simplement que nous éclaircissions cette histoire de sous-vêtement féminin. Et qui mieux qu'Anazabarbe peut le faire.
- Je le contacte dès mon retour dans mes pénates et je vous appelle. Je vous propose de lui fixer un rendez-vous pour demain.
- C'est d'accord ! déclara Lagarrigue.
- Je viendrai avec vous?
- Bien sûr Turibe, vous serez avec nous. Ne serait-ce que pour vous prouver que nous sommes reconnaissants de votre collaboration efficace.
Turibe le Canapé allait se lever quand il se ravisa, ouvrit sa sacoche et en tira une petite brochure.
- Tenez! dit-il fièrement, je vous offre ma dernière oeuvre. C'est une étude historique fouillée sur la Grotte aux Palétuviers. Une grotte où l'on retrouve des palétuviers nains datant du précambrien, époque où Sainte-Trique inexistante encore connaissait un climat chaud et très humide. Un climat qui régnait il y a plus de 40 millions d'années avant que la pollution de l'époque refroidisse la planète, provoque des angelures aux orteils des dinosaures géants et les fasse ainsi disparaître de la surface de la Terre. Les engelures, savez-vous, sont à l'origine de la première grande catastrophe écologique de notre planète. Et puis, je vous donne aussi ma version de La cigogne et la fourmi.
Lagarrigue prit respectueusement les cadeaux de Turibe, en regarda la première de couverture de l'opuscule, il put y lire le titre suivant: " La grotte des palétuviers de Sainte-Trique, berceau de la mort des dinosaures" Visite guidée d'une cave oubliée par le temps et l'Homme... par Turibe Lecampanule.
- Lisez La Cigogne et la fourmi! demanda Turibe.
Les deux gendarmes regardèrent de concert le texte de cette fable et lurent:


" La Cigogne ayant volé tout l'été
Se trouva fort déplumée
Quand octobre fut venu.
Pas de quoi en faire une révolution
Se dit la fourmi
En voyant son amie ainsi
presque intégralement nue
Poser ses fesses sur leur nid.
Nous partageons le même lit
Je serai discrète et silencieuse
Même si de temps en temps
Cet échassier tout ridicule
Me donne envie de m'esclaffer
Je ne raconterai point
Aux hôtes de la forêt
A l'ogre, au petit Poucet,
Qu'une cigogne en automne
Perd ses plumes postérieures
Comme un platane sa parure.
Moralité
Quand on est déplumé
Rien ne sert de rougir
Il faut dormir à poil
Les deux gendarmes étaient consternés intérieurement, mais ils ne voulaient pas vexer Turibe quant à la qualité de ses fables.
- J'en ai d'autres! dit Turibe: Le loup et la gnole, Le Renoir et le corps beau... Je vous les récite?
- C'est très aimable, mais il faut que nous rentrions! dit Lagarrigue. Une autre fois.
- Je vous inviterai pour le grand concours de poésie de Sainte-Trique, c'est dans un mois.
Lagarrigue, Aristobule et Turibe le Canapé se levèrent.
Au bar, Léontine les interpella:
- Vous partez sans payer?
Lagarrigue sourit et pensa "Sacrée Léontine! Quel caractère! " et il dit à haute-voix:
- Les bonnes additions font les bons amis!
- Huit Euros et trente centimes.

Lagarrigue sortit son portefeuille et régla la note.
Et tout étant en bon uniforme, comme le disent certains, les trois hommes retrouvèrent la nuit profonde et paisible des rues de Sainte-Trique la nuit.
Chapitre 13
Saint-Oursnou, hameau du Haut-Quefort...

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Le lendemain matin, Lagarrigue, Aristobule et Turibe le Canapé quittèrent de bonne heure Sainte-Trique pour se rendre dans un village du département du Haut-Quefort, département célèbre pour son fromage à moisissure et son vin rouge de Hique (ainsi appelé depuis la nuit d'étang par le réflexe oesophagique que ce rouge breuvage provoquait).
Le village où désormais Anazabarbe résidait s'appelait Saint-Oursnou. Un charmant bourg à flanc de coteaux - coteaux où les vignes de Hique (appellation d'origine incontrôlée) tentaient de survivre.
Quatre-vingts kilomètres à parcourir en 4l, cela donne du temps pour la conversation, mais ni Lagarrigue ni Aristobule ne pouvaient placer un mot. Turibe était en forme et en verve. Si les deux gendarmes purent l'arrêter dans son désir de réciter Le loup et la gnole et Le corps beau et le Renoir, ils ne purent l'empêcher de leur "dire" -et non pas de leur "réciter" - selon les propres termes de Turibe, le texte qu'il avait choisi pour le concours annuel de poésie de Sainte-Trique. Concours doté d'une magnifique tresse d'ail ornée de brins de lavandin et de boutons d'or de la côte.
- Le thème cette année, dit Turibe, doit être en rapport avec l'école. Aussi voici ce que j'ai rédigé, ça s'appelle Souvenirs d'école! Et il enchaîna immédiatement:

Au temps où j'allais à l'école
Ma maîtresse, jolie et drôle
Là, Turibe marqua un temps.
- J'avais mis d'abord: " ma maîtresse une vieille folle" mais j'ai trouvé que ce n'était pas très approprié avec le thème du concours. J'ai donc choisi la courtoisie.
Et Turibe reprit:
Au temps où j'allais à l'école
Ma maîtresse, une vieille folle (je préfère ! dit Turibe)
Nous faisait tracer des croix,
A chaque exercice ou problème,
Dans des cases, c'était au choix.
Et moi, j'avais toujours la flemme.
Ah! J'en ai tant dessiné de ces croix
Qu'aujourd'hui dans le cimetière
J'en plante sur des gens tout froids
Des grandes, des grosses, des bleues, des rouges
Des longues, des blanches, travaillées à la gouge
En bois, en fer et même en pierre.
Hier, pour moi, ce fut un grand jour.
Sur la tombe de ma maîtresse
Où elle dormirait pour toujours,
Il m'a fallu mettre une croix
Eh bien! Je n'ai pas eu zéro!
La croix que j'avais à planter,
J'ai su la mettre au bon endroit.

- C'est de moi! dit fièrement Turibe.
- Vous l'avez déjà dit! répliqua Lagarrigue peut aimablement.
- Vous ne trouvez pas que c'est un peu lugubre? demanda Lagarrigue.
- Lugubre? Vous avez dit lugubre? Comme c'est bizarre! Non ce n'est pas lugubre. C'est même plus gai que certaines chansons connues. Vous voulez un exemple. Prenez "Mon vieux" de Daniel Guichard, le texte dit "Dans son vieux par-dessus râpé, il s'en allait l'hiver l'été..." C'est pas le portrait d'un père, c'est celui de Columbo! et des exemples comme ça, j'en ai d'autres. Et l'histoire de ce pauvre âne gris d'Hugues Aufray, vous croyez que ça vous remonte le moral: "La vieille était bien ferme alors on l'a vendue".
- C'est "La ferme était bien vieille alors on l'a vendue" corrigea Lagarrigue.
La discussion méta-philosophique se poursuivait encore quand Lagarrigue déclara en montrant un clocher en vue dans le proche horizon:
- Saint-Oursnou! Sous-sous chef-lieu du Haut-Quefort.
- Bref, un trou ! corrigea Aristobule. Un lieu où l'on s'ennuie, où les vieilles n'en finissent pas de vieillir et les jeunes de s'enfuir! C'est pas la montagne, c'est pas la mer, c'est tout juste la campagne et encore, quand le brouillard se lève!
- C'est ici qu'Anazabarbe vit désormais, heureux et loin du monde, délivré du célibat et de l'inhumaine solitude des serviteurs de la Rome vaticanesque, déclara Turibe, dont l'esprit, ce matin, voguait dans des eaux décidément profondément littéraires. Anazabarbe nous attend.

Le panneau d'entrée en agglomération à peine dépassé, la 4l se trouva sur la place centrale de Saint-Oursnou. Une charmante place grande comme deux mouchoirs de poche, tout au plus, avec au sud la mairie, à l'ouest l'église, au nord le Bar de la Mairie et à l'est le Cercle des Potes Disparus, avec une plaque commémorative du souvenir.
- Nous avons rendez-vous ici. Anazabarbe ne devrait pas tarder à apparaître, dit Turibe.
Il ne se trompait pas. L'ex-abbé de Sainte-Trique se présenta à eux deux minutes seulement après leur arrivée.
- Me voilà! dit-il simplement. J'habite a moins de deux minutes à pied. Turibe m'a prévenu de votre visite. Je vous ai fait préparer un repas.
Anazabarbe n'avait pas menti. Ils arrivèrent en quelques pas à la nouvelle demeure du champion cycliste. La porte d'entrée s'ouvrit. La désormais compagne de l'ancien prêtre Sainte-Trique apparut.
Lagarrigue ne put cacher sa surprise en la voyant:
- Vous! Vous! J'aurais dû m'en douter...

Chapitre 14


Un string peut en cacher un autre


La femme qui venait d'ouvrir la porte, Lagarrigue la connaissait bien. C'était la directrice de la "Maison d'Epure Arsilonde, autrement dit, la responsable du Foyer des jeunes filles en difficulté de Sainte-Trique et de ses environs. Rappelons à nos aimables lecteurs qu'Epure Arsilonde est la Sainte Patronne de Sainte-Trique. C'est à ce titre que son patronyme fut choisi pour nommer le hâvre devant aider les jeunes filles de la région en délicatesse avec leur famille. Cela dit, revenons à notre sujet. NdlA. Une belle femme, un peu grande peut-être pour Anazabarbe, à la chevelure méchée, à l'air avenant et dont la géométrie corporelle n'avait rien de plane. Avec elle, la ligne droite ne pouvait être en rien le plus court chemin d'un de ses avantages à un autre. Ajoutons qu'elle se prénommait "Sidonie". Cela lui valait souvent les sourires moqueurs de certains érudits en musique de variété, qui fredonnaient à son passage les paroles de la chanson de Brigitte Bardot "Sidonie a plus d'un amant..."
Bref, sans pépin, l'on pouvait dire que le vicaire de Sainte-Trique avait eu bon goût.
- Entrez! dit Sidonie, avec un sourire discret et charmant.
Lagarrigue se tourna vers Turibe le Canapé.
- Mon cher Turibe, nous devons avoir une conversation confidentielle. Je vous serais reconnaissant d'aller étudier pendant une petite heure les richesses architecturales de ce village, étude dont je vous remercie par avance.
Turibe ne montra pas sa déception. Il obtempéra.
Sidonie et Anazabarbe s'assirent côte à côte sur un sofa et les deux gendarmes investirent les deux fauteuils. Ce fut Lagarrigue qui lança la conversation.
- Tout d'abord, je vous rappelle que selon la loi, vous avez tout à fait le droit de disparaître comme vous l'avez fait. Le problème n'est pas là. Votre vie sentimentale ne regarde que vous, que vous deux. Le problème se résume en une question, embarrassante à poser pour moi et dont j'espère que la réponse ne l'est pas pour vous. Cette question la voici: pourquoi Gévaudant, le chien policier, nous a-t-il conduit à votre appartement, Anazabarbe, après que nous lui ayons présenté le string de la victime du crime ?
- Parce que ce string n'appartenait pas à la victime, je pense, déclara Sidonie.
- A qui alors? dit Lagarrigue.
- A moi! répondit la jeune femme.
- A vous ?
- C'est ce que je crois du moins par déduction. Le string que vous pensez être une pièce à conviction est-il de couleur framboise?
- Oui!
- Est-il en dentelles à mailles fines?
- Toujours oui! dit Lagarrigue qui reprit:
- Cela ne m'explique toujours pas comment votre string, s'il s'agit bien de lui, s'est retrouvé sur le lieu du crime.
- Parce que le lieu du crime est une minuscule clairière où les amoureux ont coutume de se retrouver. L'herbe y est douce et l'endroit très discret. J'ajoute qu'on croyait, jusqu'à cet odieux assassinat, y être en sécurité! Et c'est en cet endroit que je retrouvais Anazabarbe. Je resterai muette sur les détails de nos rencontres forestières, je ne vous parlerai que d'une en particulier. C'était juste une heure avant le crime.
- Comment pouvez-vous parler "d'une heure avant le crime", demanda Lagarrigue.
- Tout simplement parce que j'ai lu ensuite les compte-rendus des journaux.
- Poursuivez ! dit Lagarrigue.
- Donc, Anazabarbe et moi, ce jour-là, très amoureux, nous étions sur le point de commettre avec délice et passion, ce que certains refoulés appellent le péchés de la chair - mais ce que j'appellerais moi l'entrée dans le royaume des dieux, lorsque nous entendirent des pas, encore assez lointains, pour fuir sans être vu, mais trop proches pour traîner. Nous nous rhabillâmes donc très vite et je me trouvais dans l'incapacité de remettre la main sur mon string. Je repris donc ainsi démunie, si je puis dire, le chemin de Sainte-Trique. Discrètement, nous terminâmes dedans ce que nous avions commencé à l'extérieur. Nos corps assouvis, nos âmes ne l'étaient pas. Nous décidâmes que nous ne pouvions continuer ainsi. C'est de ce jour que fut prise la décision de vivre ensemble, relativement loin de Sainte-Trique, en couple, tout simplement, avec une vraie maison, une vraie chambre et dans la chambre un vrai lit.
- Vous confirmez? demanda Lagarrigue à Anazabarbe.
- Je confirme, bien sûr.
- Alors je continue, dit Lagarrigue, avez-vous vu les personnes qui vous ont dérangés?
- C'était un couple, un couple inconnu de nous. Ils étaient trop occupés à s'occuper d'eux pour se préoccuper de nous. La suite nous a appris que nous avions raison: ils avaient bien choisi le même endroit que nous! Pour leur malheur...
- Pourquoi n'avez-vous rien dit? C'est grave!
- Mon cher Lagarrigue, reprit Anazabarbe, bien sûr, cela peut vous paraître grave. Mais croyez-vous qu'il était facile pour nous d'aller vous trouver? Pour vous dire quoi? Des choses que vous saviez-déjà vous-même et vous apprendre que le vicaire de Sainte-Trique était amoureux? Ce n'était guère envisageable.
Lagarrigue réfléchit un instant. Le couple avait raison. Si un train peut en cacher un autre, un string pouvait bien en cacher lui aussi un autre... Le gendarme se leva:
- On récupère Turibe, on le ramène à Sainte-Trique et nous on retourne sur les lieux du crime. Je crois qu'il va y avoir du nouveau!
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Chapitre 15
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Lagarrigue rêve.

Sigmund Freud interprète

Dans la 4L, Lagarrigue avait des airs du commissaire Bourel à la belle époque des "Cinq dernières minutes" que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître pour parodier un chanteur asthmatique mais néanmoins talentueux.

Je vous parle donc, avec l'évocation de cette émission, d'un temps révolu et en voie d'oubli, en priant le lecteur de se reporter à son encyclopédie habituelle s'il désire avoir plus de détails sur cette antiquité télévisuelle de grande qualité. Nous nous devons de marquer non "à la culotte" mais "au Képi", le gendarme enquêteur afin de ne pas perdre le fil, si l'on peut dire ainsi en matière de string.

Le gendarme de Sainte Trique savait qu'il touchait au but, que le dénouement arrivait aussi sûrement qu'une feuille d'impôt dans une boîte à lettres.

Cahotante mais vaillante, la 4L laissa Lagarrigue à un bon kilomètre des lieux du crime. Une vingtaine de minutes sur le sentier forestier et il fut dans la clairière, ce lieu de turpitudes charnelles et de passions lubriques mais tellement agréables à pratiquer.

Le gendarme, tout en progressant, doutait. Trouver un indice aussi évident qu'un string lui paraissait impossible. Le chien n'avait rien décelé! Alors lui? Arrivé, il n'entra pas dans la clairière. Il s'assit et resta, un peu à l'écart, sous un bouquet d'arbres, silencieux. Fatigué, il s'assoupit peu à peu.
Lagarrigue, empli des senteurs boisées si finement délicieusement subtilement parfumées, se mit à rêver.
Un vrai rêve de gendarme avec des estafettes, des jumelles, des arbres pour se cacher et tout cela se transformait en bonbons et gâteaux, en splendides créatures et plages paradisiaques. La gendarmerie de Sainte-Trique, tropicale naturellement, devenait une île, que dis-je une île! Un lagon à l'eau turquoise. Deux superbes jeunes femmes souriantes et aguichantes se prélassaient, nues, splendides. Lagarrigue les observait avec ses jumelles-radar? Ces dernières, au lieu d'indiquer une banale vitesse kilométrique, donnaient le tour de poitrine, de hanche et de taille des naïades. En intensité maximale, tous les indicateurs de dépassement de limitation d'érection brillaient ! Quant à Lagarrigue, ses voyants personnels avaient depuis longtemps explosés! Il allait serrer dans ses bras l'une de ces superbes créatures quand malencontreusement, une branche de palétuvier géant craqua puis chuta. L'île disparut comme un caillou jeté dans un étang, ne laissant qu'une onde provisoire et éphémère.

Lagarrigue ne sut jamais vraiment combien de temps avait duré ce sommeil, mais il remercia le ciel de l'avoir laissé s'endormir. D'abord pour ce rêve puis, car il sentait qu'il allait faire d'une pierre deux coups pour la certitude qui montait en lui: il allait enfin trouver le coupable des crimes de Sainte Trique.

La branche cassée du palétuvier n'était en fait, qu'une branche de hêtre qui venait de se briser. Rêver d'une idylle avec une splendide créature et se faire réveiller à cause d'un hêtre qui n'aurait pas dû être, cela a quelque chose de psychanalytique.

Sigmund Freud - que ses amis français surnommaient "Zigounet Freud" pour son penchant pour le sexe- en a d'ailleurs parlé dans son essai sur l'interprétation des rêves. Pour lui, l'homme qui rêve d'une branche qui se casse, craint une perte brutale et définitive de sa virilité. (Rêve à ne pas confondre, toujours selon Zigounet Freud, avec une branche secouée par le vent qui symboliserait la masturbation) mais je ne vais pas vous résumer toute l'oeuvre du grand Freud, je vous conseillerai seulement de lire le chapitre "L'arbre dans le rêve cache-t-il la fourrée?" et d'éviter les lignes sur les concombres, les cornichons et autres godemiché du potager.

Lagarrigue crut tout d'abord à un quelconque gros gibier. Il ne bougea pas et se tassa discrètement, un peu plus dans le fourré. (Ce terme, ici est au masculin, contrairement à son homophone précédent). Les craquements se rapprochaient. Lagarrigue identifia alors des bruits de pas.
- Et si c'était l'assassin? se demanda-t-il. Il décida de ne pas bouger d'un millimètre. Les craquements se rapprochaient. Bientôt, l'être qui marchait devrait apparaître... Lagarrigue, pourtant calme, transpirait à grosses gouttes. Il n'avait pas peur, il était aux aguets, la main sur son revolver, prêt à bondir selon les événements.
Une branche de sapin s'écarta, Lagarrigue découvrit l'auteur des pas dans cette forêt. Il n'en crut pas ses yeux. Il n'y avait pas une personne mais deux! Munies chacune d'un long couteau de cuisine et d'un rouleau à pâtisserie.
L'on ne dira jamais assez le rôle des instruments culinaires dans la littérature criminelle. Ndl'A
Lagarrigue se prit à croire qu'il avait une hallucination, que ses yeux lui mentaient. Il venait de tout comprendre en un éclair!
Ndl'A bis: Il n'y a pas forcément d'opposition entre le fait d'être membre de la Maréchaussée et d'avoir une compréhension foudroyante. Oui ! A regarder les deux personnages devant lui, les motivations de leurs horribles crimes devenaient évidentes. Lagarrigue tenait ses assassins. Il décida de ne pas les interpeller pour le moment. Discrètement, il sortit son téléphone portable en bénissant le jour où il l'avait choisi avec la fonction appareil photo. Les assassins cherchaient leur proie, Lagarrigue immortalisa leurs quêtes en clichés numériques. Il était temps pour lui de se replier car les couteaux et les rouleaux de pâtisserie s'approchaient dangereusement.
Le sentier le ramena à la 4L. Il vérifia les clichés. Ils étaient bons. ..
Une équipe à réunir! se dit-il et c'est la fin de mon enquête...






CHAPITRE 16

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Une punaise de sacristie, comment ça marche?

Pour le lecteur averti, le titre de ce chapitre contenant le mot "punaise" ne peut manquer de lui mettre la punaise, pardon, la puce à l'oreille. Nous avons dans un précédent chapitre de ces chroniques, assisté aux tourments du curé de Sainte Trique, tourments subis lors de la messe dominicale. Quel calvaire en effet pour un officiant d'avoir à supporter cette plaie: la présence de punaises de sacristie en son église. Une espèce terrible, accrochée à son prie-dieu comme une lente à son cheveu. Une espèce incompréhensiblement survivante car elle honnit la copulation et pourtant se perpétue!

Faisons donc un peu d'entomologie religieuse et dissertons sur ce sujet: "Qu'est-ce qu'une punaise de sacristie? A quoi la reconnaît-on? Quelles sont ses motivations?

Une punaise de sacristie est une vieille fille qui hante l'église dès son ouverture, non pour s'y recueillir mais pour y trouver matière à ses cancanages -néologisme que je me permettrai car il me paraît plus péjoratif que le banal "cancan"- De plus un lecteur étranger ou distrait pourrait par inadvertance croire que j'évoque ces danseuses qui lèvent la jambe pour montrer des dessous démodés alors que leur public se contenterait de beaucoup moins de tissus. Mais fermons la parenthèse et revenons à nos punaises.

Donc si la caille margote, le chameau blatère, la huppe pupule, le pivert picasse haut, la souris chicote, le pinson fringotte, la punaise de sacristie, elle, cancane. C'est sa fonction première: "Et Madame ci, et monsieur le curé là et la fille d'un tel oh! (même si cette fille n'est pas très futée). La punaise de sacristie observe, critique, calomnie, carbonise la vertu et crache son venin. La punaise de sacristie, en résumé, aime en son prochain la haine qu'il lui permet de nourrir.

Reconnaître une punaise de sacristie est facile: si elle est laide, ce n'est pas dû à son physique mais à la méchante bêtise qui en suinte. Elle a des goûts vestimentaires stupéfiants: à croire qu'elle s'habille avec ses rideaux, un abord désagréable, avec en prime une moustache de sapeur! Quant à ses motivations, elles sont simples: dominer leur prêtre et gouverner dans l'église! Observez bien une punaise de sacristie en prière. On croirait que la cohorte des saints toute entière lui apparaît. Les pôvres! Ils auraient bien du mérite à être là.

Sainte Trique n'échappant pas à leur invasion, le village en était donc atteint. Deux punaises redoutables l'habitaient: les soeurs Labusque! Des sprinteuses du credo, récitant leurs prières plus vite que leur ombre! Des méchantes langues, des teignes, des parasites, des blattes.

C'était elles que Lagarrigue venait de croiser dans la forêt sur les lieux du crime! Elles qui avaient failli l'assassiner s'il ne s'était caché!

Mais avant que Lagarrigue ne les menotte, ne manquons pas d'en brosser un portrait sans concession mais avec anthologie, pardon: "déontologie". On s'y perd un peu dans toutes ces spécialités morales ou médicales. Vu l'aspect et l'âge des soeurs Labusque, les lumières d'un paléontologue ou d'un égyptologue- momitologue, seraient appréciées. L'auteur n'ayant ni l'un ni l'autre dans ses relations -pourtant nombreuses et de grande qualité- le lecteur devra se contenter du créateur de ces lignes ou alors de les abandonner et d'aller à la pêche.

Pour ceux qui sont encore là, voici donc une évocation de ce que sont les soeurs Labusque: deux vieilles peaux sans chair mais en os, se prétendant vierges, alors que dans leur jeunesse, selon les anciens et selon l'expression connue: "Seul le train ne leur était pas passé dessus" Deux harpies s'offusquant de tout: du boulanger qui lève la pâte, du chien qui fait de même car il ignore l'orthographe, des filles dont elles trouvent qu'elles ont la jupe trop courte, des garçons qui ont les cheveux trop longs,du maire qui ne va pas à la messe, du curé qui y va, de l'enfant de coeur qui renverse les burettes, du choeur des enfants qui, toujours selon elles, chante comme des casse rôles. La liste pourrait s'allonger ainsi indéfiniment, tel un inventaire à la pervers. (Nous soulignerons que pour le train, il n'y en avait pas dans la jeunesse des soeurs Labusque, il a donc un alibi: il n'a pu leur passer dessus. Ndl'A)

Mais trêve de plaies sans tuerie, il est temps de rejoindre notre héros du jour: Lagarrigue.

Après avoir traversé le " Parc à Dindes" c'est à dire l'endroit où les femmes de gendarmes qui ne travaillent pas se regroupent pour surveiller leur progéniture qui joue dans le bac à sable, Lagarrigue se rendit au "célibatorium" bâtiment qui abrite les gendarmes célibataires et sonna le rassemblement général.

Nous ne reviendrons pas sur les commentaires, les étonnements de la Maréchaussée, ni sur les procédures habituelles d'information de la hiérarchie et du procureur de la République. Notre propos est d'intéresser notre lecteur et non de l'ennuyer avec un cours de droit pénal.

Non! Il est temps d'accompagner Lagarrigue et les deux gendarmes d'élite qu'il a choisi pour procéder à l'arrestation des soeurs Labusque : Augustine et Drosoline pour les appeler familièrement pas leurs petits noms.

Cette opération intitulée en toute discrétion: "Opération punaises" à son origine, fut qualifiée ensuite "...de sacristie" par le clan des anticléricaux de Sainte-Trique. J'ai pu, grâce à l'estime personnelle que me portait et me porte toujours le Gendarme Lagarrigue, me procurer les aveux des deux refoulées. Ce sont ces aveux que je me propose de vous révéler dans le chapitre suivant.




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CHAPITRE 17

Narration d'une séance de découpage

°°°
Pour Lagarrigue, le soulagement était immense. L'arrestation des soeurs Labusque n'était certes pas uniquement une formalité, mais tenir les coupables après tant de longues semaines d'enquête lui donnait une véritable bouffée d'oxygène.
La cellule de crise de la Gendarmerie s'était réunie. Le tour de table terminé, une certitude s'imposait aux gendarmes: ils n'avaient à craindre que l'hystérie mystique des criminelles. Ils n'avaient pas tort et les lignes qui vont suivre en donneront, hélas, un compte-rendu fidèle à nos lecteurs.
Ayant délaissé sa 4L pour une Estafette dernier modèle, Lagarrigue, accompagné de trois de ses meilleurs hommes, arriva de très bon matin, c'est à dire à 11 heures, au domicile des criminelles. Arrêter Drosoline et Augustine à leur saut du lit, apparaissait à notre héros, au-dessus de ses capacités. Rien que de les imaginer en chemise de nuit, avec au côté du lit leur seau hygiénique, Lagarrigue avait envie de vomir. Il n'était pas si sot pour agir à l'encontre de lui-même. Le gendarme ne voulait pas que dans son inconscient s'imprègne des images terribles qui seraient susceptibles de diminuer sa libido.

(à noter pour la petite histoire que ce premier paragraphe avait été pré-sélectionné par le célèbre Bernard Pivot pour sa dictée de par l'utilisation des homophones "sot", "Seau" et "saut" NdlA )

L'antre des punaises était située en plein centre de Sainte-Trique, endroit stratégique pour observer, derrière le rideau à peine soulevé des carreaux de la fenêtre du deuxième étage, les aller et venues du moindre habitant du village et même de leur curé. Voisines du presbytère, les soeurs Labusque pouvaient ainsi contrôler les déplacements du berger des âmes et son vicaire en toute tranquillité. Rien ne pouvait leur échapper! pas une visite! pas une entrée, pas une sortie, sans qu'elles en notent l'heure, le jour avec autant de précision que les minutes d'un acte notarial.
Lagarrigue frappa à la porte. Une voix égrillarde lui répondit:
- Tirez la bobinette et la chevillette cherra!
Lagarrigue, un peu surpris répliqua:
- Je ne suis ni le loup, ni le Petit Chaperon Rouge! Je suis le Gendarme Lagarrigue!
- C'est pas grave! déposez votre galette et votre petit pot sur le perron! dit l'une des deux Labusque.
Lagarrigue commença à perdre patience:
- On ne va pas réécrire tous les contes du répertoire tout de même! C'est pas le moment! murmura-t-il en ses dents à ses collègues. On vient arrêter les soeurs Labusque, pas les frères Grimm! et s'adressant à son équipe:
- Bon je tire la bobinette! et il appuya sur le bouton de la sonnette.
La porte s'entrouvrit, laissant apparaître la moitié du visage de Drosoline. De ce seul oeil visible, elle toisa Lagarrigue et déclara:
- Si c'est pour le calendrier des pompiers on a déjà donné!
- Je ne suis pas pompier!
- Scout?
- Non!
- Éboueurs?
- Non plus!
- Il n' a pas de sot métier, jeune homme! Il n'y a que de sottes gens! Vous n'avez pas à avoir honte.
Lagarrigue décida de mettre fin à cette énumération et poussant la porte sans ménagement déclara:
- Je suis gendarme et nous, les calendriers, nous les livrons directement sur les pare-brise! Je suis gendarme ici, à Sainte-Trique, comme mes accompagnateurs!
L'oeil de Drosoline devint plus noir, une lueur de méchanceté s'y alluma. Augustine apparut et se campa au côté de sa cadette. Lagarrigue et ses hommes investirent les lieux, prenant chacun une position stratégique pour parer à toute velléité de fuite des soeurs Labusque.
- Je vous arrête toutes les deux, au nom de la loi, pour assassinat!
Drosoline se mit à hurler, suivie de peu par Augustine. Deux hurlements perçants et d'une intensité à vous rendre sourd pour une bonne semaine! Elles se précipitèrent avec une agilité surprenante pour leur âge sur le tiroir du buffet, mais hélas pour elles, et heureusement pour les gendarmes, elles furent immédiatement stoppées dans leur élan. Lagarrigue ordonna qu'on leur passe les menottes. Ce ne fut pas chose facile, Drosoline et Augustine griffaient, mordaient, donnaient des coups de poings et des coups de pieds à tour de bras et de jambes!
Les gendarmes n'en croyaient pas leurs yeux! Il leur fallut une bonne vingtaine de minutes pour prendre le contrôle de la situation. Enfin, menottées, essoufflées, aphones d'avoir tant crié, Drosoline et Augustine furent contrainte d'accepter leur inévitable situation. Assises, les mains derrière le dos, comme deux écolières punies, elles regardèrent les photos que Lagarrigue avait prises dans la clairière.

- C'est bien vous ? demanda Lagarrigue.
Ce fut Drosoline qui répondit:
- Oui, c'est nous. C'est bien nous!
- Et qu'alliez-vous faire dans cette clairière?
- On a bien le droit de se promener! On est encore en République!
- En République, c'est sûr, on y est! répondit Lagarrigue, mais se promener avec un tel attirail propre à découper un cochon, là c'est limite! Vous avez assassiné un couple, vous vouliez découper le poulet, pardon, le gendarme que je suis.
Froidement Augustine déclara:
- Bien sûr que non, puisque nous ne vous avons pas vu! Mais à la réflexion, c'eut été possible! Une aile, une cuisse, un peu de blanc, le croupion, la cervelle et la carcasse pour le bouillon, il y aurait eu un poulet de moins à la gendarmerie.
Lagarrigue n'apprécia guère cette plaisanterie macabre.
- Continuez, dites-nous plutôt pourquoi vous avez assassiné ce couple d'amoureux.
- C'était une erreur! dirent en même temps les deux soeurs.
- Une erreur? s'étonna Lagarrigue. Vous pouvez m'expliquer?
- On pensait que c'était le vicaire et sa pouffiasse!
- Modérez vos expressions! ordonna Lagarrigue. Vous pensiez?
- Nous savions tout sur leur turpitude! Sur l'horrible péché de luxure qu'ils pratiquaient presque quotidiennement, du moins à la belle saison! De notre fenêtre, nous voyions entrer la pou... mais le regard de Lagarrigue incita Drosoline à modérer son vocabulaire:
- Sa pou, sa pou, sa poupée! peu à peu nous eûmes la puce à l'oreille! Cette créature du Diable ne venait pas à confesse! Cette créature venait pour tout autre chose. Elle venait pour le vicaire!
- Comment ?
- Oui! pour le vicaire car lorsqu'elle débarquait, l'abbé Styropopor n'était jamais là, tandis que le cycliste lui, était bien présent. La dame ressortait une ou deux heures après, comme explosée, rouge, les cheveux hirsutes, le regard brillant et les mains tremblantes, totalement démaquillée et le chemisier chiffonné!
- Cela ne vous regardait pas! affirma Lagarrigue.
- Bien sûr que si! répliqua aussitôt Augustine. Un serviteur de Dieu! Un promis au célibat! Nous avons décidé de prendre cette affaire en main! De les punir et de les expédier ad patres!
- ad quoi ? demanda Lagarrigue qui n'avait pas fait de latin.
- ad patres ! chez les morts! On voit bien qu'il n'y a plus de messe en latin! déplora Drosoline. Donc, un jour où nous les avons vu de diriger vers la forêt, selon leur habitude, nous avons décidé de les suivre et de mettre notre plan à exécution. Nous attendîmes une bonne demi-heure avant de nous jeter sur eux. Le temps de les laisser se mettre en train! Lorsque nous sommes donc arrivées, ils étaient nus dans une demi-obscurité. Ensemble, Drosoline et moi, nous nous jetâmes sur le vicaire et sa Pou... pou quoi ? d'ailleurs! Et va z'y qu'on te les assomme, poignarde, essorille. On en était là, quand tout à coup Augustine s'arrêta d'un coup, le couteau ensanglanté en l'air! Au risque de se tâcher! et elle me dit alors
- C'est pas les bons!
- Les bons quoi? demandai-je à ma soeur.
- C'est pas le vicaire pédaleur et sa copine!
- Alors, on s'est trompé? C'est qui ces deux-là?
- Je sais pas, en tout cas, tu peux dire c'était! on les a saignés comme des gorets! ça me rappelle ma jeunesse... On n'a pas trop perdu la main!
Lagarrigue reprit les aveux en main:
- Vous voulez dire que vous avez assassiné deux innocents amoureux!
- Ben oui! c'est une erreur, mais quand on s'en est rendu compte, c'était trop tard, on pouvait plus recoller les morceaux et comme disait notre mère: "ce qui est fait est fait"
On a appris par la suite que notre vicaire était bien passé par là, mais comme l'endroit était déjà occupé, il avait fait demi tour...
Lagarrigue était atterré! Ainsi deux vieilles aux portes du cimetière avaient sordidement prémédité leur crime et le destin, insondable de mystère, s'était amusé à remplacer les victimes désignées par des victimes innocentes!
- Aux assises, vous aller prendre perpète! dit Lagarrigue.
- La perpétuité à presque 80 ans, ça ne doit pas être bien long! fit remarquer Augustine.
- On va consigner tout ça par écrit à la Gendarmerie!
Lagarrigue et ses hommes emmenèrent les soeurs Labusque qui, cette fois, ne résistèrent pas.
Ainsi, le mystère de Sainte-Trique venait d'être résolu.