dimanche 11 mars 2012

Chapitre 14


Un string peut en cacher un autre


La femme qui venait d'ouvrir la porte, Lagarrigue la connaissait bien. C'était la directrice de la "Maison d'Epure Arsilonde, autrement dit, la responsable du Foyer des jeunes filles en difficulté de Sainte-Trique et de ses environs. Rappelons à nos aimables lecteurs qu'Epure Arsilonde est la Sainte Patronne de Sainte-Trique. C'est à ce titre que son patronyme fut choisi pour nommer le hâvre devant aider les jeunes filles de la région en délicatesse avec leur famille. Cela dit, revenons à notre sujet. NdlA. Une belle femme, un peu grande peut-être pour Anazabarbe, à la chevelure méchée, à l'air avenant et dont la géométrie corporelle n'avait rien de plane. Avec elle, la ligne droite ne pouvait être en rien le plus court chemin d'un de ses avantages à un autre. Ajoutons qu'elle se prénommait "Sidonie". Cela lui valait souvent les sourires moqueurs de certains érudits en musique de variété, qui fredonnaient à son passage les paroles de la chanson de Brigitte Bardot "Sidonie a plus d'un amant..."
Bref, sans pépin, l'on pouvait dire que le vicaire de Sainte-Trique avait eu bon goût.
- Entrez! dit Sidonie, avec un sourire discret et charmant.
Lagarrigue se tourna vers Turibe le Canapé.
- Mon cher Turibe, nous devons avoir une conversation confidentielle. Je vous serais reconnaissant d'aller étudier pendant une petite heure les richesses architecturales de ce village, étude dont je vous remercie par avance.
Turibe ne montra pas sa déception. Il obtempéra.
Sidonie et Anazabarbe s'assirent côte à côte sur un sofa et les deux gendarmes investirent les deux fauteuils. Ce fut Lagarrigue qui lança la conversation.
- Tout d'abord, je vous rappelle que selon la loi, vous avez tout à fait le droit de disparaître comme vous l'avez fait. Le problème n'est pas là. Votre vie sentimentale ne regarde que vous, que vous deux. Le problème se résume en une question, embarrassante à poser pour moi et dont j'espère que la réponse ne l'est pas pour vous. Cette question la voici: pourquoi Gévaudant, le chien policier, nous a-t-il conduit à votre appartement, Anazabarbe, après que nous lui ayons présenté le string de la victime du crime ?
- Parce que ce string n'appartenait pas à la victime, je pense, déclara Sidonie.
- A qui alors? dit Lagarrigue.
- A moi! répondit la jeune femme.
- A vous ?
- C'est ce que je crois du moins par déduction. Le string que vous pensez être une pièce à conviction est-il de couleur framboise?
- Oui!
- Est-il en dentelles à mailles fines?
- Toujours oui! dit Lagarrigue qui reprit:
- Cela ne m'explique toujours pas comment votre string, s'il s'agit bien de lui, s'est retrouvé sur le lieu du crime.
- Parce que le lieu du crime est une minuscule clairière où les amoureux ont coutume de se retrouver. L'herbe y est douce et l'endroit très discret. J'ajoute qu'on croyait, jusqu'à cet odieux assassinat, y être en sécurité! Et c'est en cet endroit que je retrouvais Anazabarbe. Je resterai muette sur les détails de nos rencontres forestières, je ne vous parlerai que d'une en particulier. C'était juste une heure avant le crime.
- Comment pouvez-vous parler "d'une heure avant le crime", demanda Lagarrigue.
- Tout simplement parce que j'ai lu ensuite les compte-rendus des journaux.
- Poursuivez ! dit Lagarrigue.
- Donc, Anazabarbe et moi, ce jour-là, très amoureux, nous étions sur le point de commettre avec délice et passion, ce que certains refoulés appellent le péchés de la chair - mais ce que j'appellerais moi l'entrée dans le royaume des dieux, lorsque nous entendirent des pas, encore assez lointains, pour fuir sans être vu, mais trop proches pour traîner. Nous nous rhabillâmes donc très vite et je me trouvais dans l'incapacité de remettre la main sur mon string. Je repris donc ainsi démunie, si je puis dire, le chemin de Sainte-Trique. Discrètement, nous terminâmes dedans ce que nous avions commencé à l'extérieur. Nos corps assouvis, nos âmes ne l'étaient pas. Nous décidâmes que nous ne pouvions continuer ainsi. C'est de ce jour que fut prise la décision de vivre ensemble, relativement loin de Sainte-Trique, en couple, tout simplement, avec une vraie maison, une vraie chambre et dans la chambre un vrai lit.
- Vous confirmez? demanda Lagarrigue à Anazabarbe.
- Je confirme, bien sûr.
- Alors je continue, dit Lagarrigue, avez-vous vu les personnes qui vous ont dérangés?
- C'était un couple, un couple inconnu de nous. Ils étaient trop occupés à s'occuper d'eux pour se préoccuper de nous. La suite nous a appris que nous avions raison: ils avaient bien choisi le même endroit que nous! Pour leur malheur...
- Pourquoi n'avez-vous rien dit? C'est grave!
- Mon cher Lagarrigue, reprit Anazabarbe, bien sûr, cela peut vous paraître grave. Mais croyez-vous qu'il était facile pour nous d'aller vous trouver? Pour vous dire quoi? Des choses que vous saviez-déjà vous-même et vous apprendre que le vicaire de Sainte-Trique était amoureux? Ce n'était guère envisageable.
Lagarrigue réfléchit un instant. Le couple avait raison. Si un train peut en cacher un autre, un string pouvait bien en cacher lui aussi un autre... Le gendarme se leva:
- On récupère Turibe, on le ramène à Sainte-Trique et nous on retourne sur les lieux du crime. Je crois qu'il va y avoir du nouveau!