dimanche 11 mars 2012

Chapitre 13
Saint-Oursnou, hameau du Haut-Quefort...

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Le lendemain matin, Lagarrigue, Aristobule et Turibe le Canapé quittèrent de bonne heure Sainte-Trique pour se rendre dans un village du département du Haut-Quefort, département célèbre pour son fromage à moisissure et son vin rouge de Hique (ainsi appelé depuis la nuit d'étang par le réflexe oesophagique que ce rouge breuvage provoquait).
Le village où désormais Anazabarbe résidait s'appelait Saint-Oursnou. Un charmant bourg à flanc de coteaux - coteaux où les vignes de Hique (appellation d'origine incontrôlée) tentaient de survivre.
Quatre-vingts kilomètres à parcourir en 4l, cela donne du temps pour la conversation, mais ni Lagarrigue ni Aristobule ne pouvaient placer un mot. Turibe était en forme et en verve. Si les deux gendarmes purent l'arrêter dans son désir de réciter Le loup et la gnole et Le corps beau et le Renoir, ils ne purent l'empêcher de leur "dire" -et non pas de leur "réciter" - selon les propres termes de Turibe, le texte qu'il avait choisi pour le concours annuel de poésie de Sainte-Trique. Concours doté d'une magnifique tresse d'ail ornée de brins de lavandin et de boutons d'or de la côte.
- Le thème cette année, dit Turibe, doit être en rapport avec l'école. Aussi voici ce que j'ai rédigé, ça s'appelle Souvenirs d'école! Et il enchaîna immédiatement:

Au temps où j'allais à l'école
Ma maîtresse, jolie et drôle
Là, Turibe marqua un temps.
- J'avais mis d'abord: " ma maîtresse une vieille folle" mais j'ai trouvé que ce n'était pas très approprié avec le thème du concours. J'ai donc choisi la courtoisie.
Et Turibe reprit:
Au temps où j'allais à l'école
Ma maîtresse, une vieille folle (je préfère ! dit Turibe)
Nous faisait tracer des croix,
A chaque exercice ou problème,
Dans des cases, c'était au choix.
Et moi, j'avais toujours la flemme.
Ah! J'en ai tant dessiné de ces croix
Qu'aujourd'hui dans le cimetière
J'en plante sur des gens tout froids
Des grandes, des grosses, des bleues, des rouges
Des longues, des blanches, travaillées à la gouge
En bois, en fer et même en pierre.
Hier, pour moi, ce fut un grand jour.
Sur la tombe de ma maîtresse
Où elle dormirait pour toujours,
Il m'a fallu mettre une croix
Eh bien! Je n'ai pas eu zéro!
La croix que j'avais à planter,
J'ai su la mettre au bon endroit.

- C'est de moi! dit fièrement Turibe.
- Vous l'avez déjà dit! répliqua Lagarrigue peut aimablement.
- Vous ne trouvez pas que c'est un peu lugubre? demanda Lagarrigue.
- Lugubre? Vous avez dit lugubre? Comme c'est bizarre! Non ce n'est pas lugubre. C'est même plus gai que certaines chansons connues. Vous voulez un exemple. Prenez "Mon vieux" de Daniel Guichard, le texte dit "Dans son vieux par-dessus râpé, il s'en allait l'hiver l'été..." C'est pas le portrait d'un père, c'est celui de Columbo! et des exemples comme ça, j'en ai d'autres. Et l'histoire de ce pauvre âne gris d'Hugues Aufray, vous croyez que ça vous remonte le moral: "La vieille était bien ferme alors on l'a vendue".
- C'est "La ferme était bien vieille alors on l'a vendue" corrigea Lagarrigue.
La discussion méta-philosophique se poursuivait encore quand Lagarrigue déclara en montrant un clocher en vue dans le proche horizon:
- Saint-Oursnou! Sous-sous chef-lieu du Haut-Quefort.
- Bref, un trou ! corrigea Aristobule. Un lieu où l'on s'ennuie, où les vieilles n'en finissent pas de vieillir et les jeunes de s'enfuir! C'est pas la montagne, c'est pas la mer, c'est tout juste la campagne et encore, quand le brouillard se lève!
- C'est ici qu'Anazabarbe vit désormais, heureux et loin du monde, délivré du célibat et de l'inhumaine solitude des serviteurs de la Rome vaticanesque, déclara Turibe, dont l'esprit, ce matin, voguait dans des eaux décidément profondément littéraires. Anazabarbe nous attend.

Le panneau d'entrée en agglomération à peine dépassé, la 4l se trouva sur la place centrale de Saint-Oursnou. Une charmante place grande comme deux mouchoirs de poche, tout au plus, avec au sud la mairie, à l'ouest l'église, au nord le Bar de la Mairie et à l'est le Cercle des Potes Disparus, avec une plaque commémorative du souvenir.
- Nous avons rendez-vous ici. Anazabarbe ne devrait pas tarder à apparaître, dit Turibe.
Il ne se trompait pas. L'ex-abbé de Sainte-Trique se présenta à eux deux minutes seulement après leur arrivée.
- Me voilà! dit-il simplement. J'habite a moins de deux minutes à pied. Turibe m'a prévenu de votre visite. Je vous ai fait préparer un repas.
Anazabarbe n'avait pas menti. Ils arrivèrent en quelques pas à la nouvelle demeure du champion cycliste. La porte d'entrée s'ouvrit. La désormais compagne de l'ancien prêtre Sainte-Trique apparut.
Lagarrigue ne put cacher sa surprise en la voyant:
- Vous! Vous! J'aurais dû m'en douter...