Chapitre 10
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Anazabarbe, vicaire de Sainte-Trique...
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Les olives avalées, les noyaux abandonnés et les verres vides, L'abbé Styropopor, Lagarrigue, Aristobule et Gévaudant décidèrent d'aller frapper à l'huis du vicaire. Anazabarbe ne répondit pas plus qu'avant leur dégustation olivo-vinicole.
- C'est étonnant ! déclara Le curé de Sainte-Trique. Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé.
- Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois? demanda Lagarrigue par réflexe professionnel.
- Hier matin. J'ai le double des clés de l'appartement d'Anazabarbe. Je vais les chercher et j'ouvre!
Quelques instants plus tard, la serrure grinçait sous la pression de la clé. Deux tours et le trio pouvait pousser la porte. L'obscurité était totale. Lagarrigue pressa l'interrupteur. Rien. L'électricité était coupée. Aristobule gratta une allumette et dit:
- Mais, mais! On dirait qu'il n'y a rien dans cet appartement!
- Je vais au compteur pour que la lumière soit!
Et lorsque la fée électricité fut de nouveau opérationnelle, Styropopor poussa un cri d'étonnement :
- Votre première impression était la bonne! Il n'y a plus rien dans cette pièce: pas un meuble, pas un papier!
Lagarrigue et ses deux amis ne purent que constater qu'il en était de même dans le bureau, dans la chambre et dans la salle de bain. Toutes les pièces étaient vides. Désespérément vides. Le vicaire Anazabarbe avait disparu, corps et bien. Quel iceberg ce Titanic ecclésiastique avait-il pu bien rencontrer?
- C'est à n'y rien comprendre ! Par tous les saints du paradis! Mais où est donc Guihon!
- Guihon? demanda Lagarrigue étonné.
- Guihon, reprit l'abbé Styropopor, c'est le prénom de mon vicaire et Anazabarbe c'est son nom, je croyais que cela coulait de source...
- Source ou pas, coupa Aristobule, l'appartement a été vidé et sans violence! Pas de traces de lutte! Donc votre Anaste à barbe a volontairement disparu de la circulation.
- Anazabarbe ! corrigea Styropopor;
- Va pour Anazabarbe, avouez que le pauvre vicaire n'avait pas de chance avec son nom de famille. C'est peut-être ce qui l'a poussé à entrer dans les Ordres. Vous imaginez s'il s'était marié? J'entends d'ici les commentaires : "C'est la femme d'Anazabarbe!" la pauvre épouse !
- Ce n'est pas le tout! Mon cher curé, avez-vous une idée quant au mobile de cette disparition?
- Aucune! Anazabarbe n'avait qu'une passion et qu'un amour: la bicyclette!
- Et Dieu dans tout ça ? demanda Aristobule qui avait beaucoup écouté Jacques Chancel et "Radioscopie" sur France Inter.
Le curé de Sainte-Trique semble réfléchir un instant puis répondit:
- Anatabaze...
- Anazabarbe!
- Anazabarbe, vous avez raison Lagarrigue, même moi, j'ai du mal à m'y habituer! Et son prénom Guihon! Quand on sait qu' Anazabarbe était champion de France des cyclistes ecclésiastiques ! Guihon! Vous vous rendez compte! Ici tout le monde le surnommait Guihon de vélo! Un si joli prénom biblique tourné ainsi en dérision!
- Il y a un championnat de France cycliste ecclésiastique? s'étonna Lagarrigue.
- Bien sûr, reprit l'abbé Styropopor. C'est une course qui commence à l'aube, près de Troyes le dimanche de Pentecôte. "Pente" "côte" quelle belle fête pour les amateurs de vélocipèdes!
- Anazabarbe! Un coureur! déclara Aristobule, ça alors!
- Cycliste! Un coureur certes mais cycliste! Aurait-il fait une mauvaise chute?
- Impossible! Avec tous les meubles déménagés, il ne reste que deux possibilités: l'enlèvement suivi d'un cambriolage en règle, mais je n'y crois pas - l'abbé Anazabarbe n'était pas assez riche pour cela - et la disparition organisée, dit Lagarrigue.
- Disparu? s'étonna Styropopor. Pourquoi ? Un si bon vicaire !
- Pas pour entrer dans les Ordres, votre vicaire y était déjà! Pour entrer dans le désordre! C'est à dire mener une vie normale d'homme, d'homme qui en a assez d'enfourcher uniquement sa bicyclette! déclara Aristobule.
L'abbé Styropopor aurait bien apaisé son désarroi en s'affaissant dans un fauteuil, mais en l'absence de cette commodité de la conversation, il se contenta de s'appuyer au mur et dit:
- J'en déduis donc que mon vicaire avait soigneusement tout préparé avant de quitter Sainte-Trique. Comment se peut-il que personne ne se soit aperçut de rien. Une armoire, une commode, un lit, des livres, un bureau, des chaises... Cela ne disparaît pas comme ça!
- Sans compter le raton laveur, ajouta Lagarrigue qui avait des lettres en poésie.
- Qu'il coule des jours heureux! appuya Aristobule avec un grand sourire.
- Seul ! J'espère.
- Mon père! mon bon père, vous êtes un peu naïf.... Si Anazabarbe s'est ainsi évaporé, c'est qu'il y a de l'amour là-dessous!
- L'amour du prochain? essaya de suggérer Styropopor qui décidément s'accrochait à son idée.
- En quelque sorte, mais, je penche pour l'amour pour un ou une prochaine. Votre abbé était beau gosse, c'était presque du gâchis que son célibat.
Enfin il a ouvert les yeux! Il a jeté, symboliquement sa soutane aux orties et il entre dans la vraie vie! Par contre, je me demande pour quelle raison Gévaudant m'a conduit jusqu'ici après avoir humé la pièce à conviction trouvée sur les lieux du crime. Cher Lagarrigue, il nous faut élucider ce mystère !
- Je compte sur vous aussi, cher Aristobule. Avec votre ami à quatre pattes, vous avez plus d'un string à votre arc. Vous voyez, j'appelle un chat un chat! Souvenez-vous!
- Qu'allez-vous faire pour retrouver mon Anazarbe? Qu'est-ce que je vais dire à l'archevêque? à la presse? à tous les paroissiens!
- Dites-leur que la vérité sera bientôt connue, et que le bonheur de l'un fait souvent le bonheur des autres, contrairement aux idées malveillantes. Eh! Eh! Quel petit coquin cet Anazarbe! En route Aristobule, nous retournons à la serre pour lancer un avis de recherche et jeter un oeil sur les pièces à conviction... On a du string, pardon! du pain sur la planche...