lundi 16 juin 2014

Chapitre 5

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Le sermon de l'abbé Styropopor

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Dans le vert de ses habits sacerdotaux, couleur des temps ordinaires pour l'Eglise. (Une période où il ne se passe rien: Noël est encore loin, Pâques encore plus et la Toussaint déjà oubliée), l'abbé Styropopor quitta l'autel, monta en chaire, (c'est à dire vont se poster derrière un micro sur pied sur le devant de la cène). Et, l'air profond et inspiré, toisa d'un regard paternel, l'assemblée des fidèles comme le berger couve du regard son troupeau et, s'approchant du micro, ne prit pas la parole, du moins immédiatement.

Il pensait! Il pensait? Il pensait avec réalisme, en contemplant les travées où s'étalaient les travers de ses paroissiens. Entrons dans ces réflexions intimes! Ecoutons sa voix intérieure: "C'est comme d'habitude... au premier rang: les bigotes et les punaises de sacristie. Derrière, quelques rosières pas encore envahies par les pulsions charnelles. Aux derniers rangs, les pressés de s'éclipser dès l'ite missa est... A droite de l'autel la cheftaine qui vient animer une messe de temps en temps, les dimanches où son petit copain n'est pas libre car, quand ce dernier n'est pas de service, elle préfère la grasse matinée à une matinée de grâce et la communion des corps à l'élévation des âmes et, ô combien, finalement, je lui donne raison, même si les plaisirs de la chair me sont interdits et que je dois me contenter de ceux de la chaire..."

Évitant de peu un haussement d'épaules de découragement, il s'encouragea par un intérieur et volontaire "Bon, on y va..." adressé à lui-même.

D'une voix assurée par l'habitude, l'abbé commença: " Mes chères soeurs, mes chers frères! Que nous dit l'Evangile de ce dimanche? Oui! Que nous dit-il ? Que nous dit-elle?"

Le bon curé n'avait jamais su retenir le genre du mot "évangile". Aussi, et c'était devenu un rituel en l'église de Sainte-Trique, il disait alternativement "il" ou "elle".

"Oui! Que nous dit cet évangile?" Là, il se sentit rasséréné "cet" ou "cette" oralement cela ne faisait pas grande différence. Plus assuré, il reprit: "Rendons à César, ce qui est à César ! Matthieu 22, 15, 21".

Sur ces mots, un paroissien un peu dur d'oreille se pencha vers son voisin:

- Qu'est-ce qu'il a dit?

- Monsieur le curé vient de donner les repères chiffrés du verset de l'Evangile d'aujourd'hui.

Les chiffres du tiercé? décidément depuis Vatican II, l'Eglise a bien changé. Enfin, si cela remplace le denier du culte... pourquoi pas! répliqua l'homme qui entendait un murmure à ses oreilles de chevaux, comme il était surnommé car ses appendices auditifs présentaient une ressemblance avec celles des équidés.


Ignorant ces réflexions, l'abbé Styropopor continua:

"... Que nous enseigne cette phrase rapportée par Saint Matthieu? Mes très chères soeurs, mes très chers frères, c'est simple, d'une simplicité tellement lumineuse qu'elle nous aveugle. Et cet aveuglement entraîne notre suffisance et notre inconscience. Pourtant c'est simple! Que s'est-il passé ici? Là! Dans notre propre village? Je vous le demande! Non! Ne dites rien! Ne répondez point! Laissez la honte vous envahir!

Là-dessus, l'abbé jeta un regard circulaire sur les travées. Certains paroissiens baissaient la tête, d'autres prenaient un air dégagé, d'autres encore regardaient discrètement leur montre. La honte qui envahit prend parfois des allures bien différentes.

Le dur d'oreille demanda:

- Qu'est-ce qu'il a dit?
- Il a dit de laisser la honte nous envahir!
- Pas question de nous laisser envahir, on a assez d'étrangers comme ça dans le village!
- Quand on sait que tout Sainte-Trique t'a surnommé l'Attila des bars, tu ferais mieux de la mettre en sourdine.
- Insolent! En sourdine! se fâchâ-t-il. J'y suis tout le temps...
Pour une fois tu as capté! C'est bien.
Et Styropopor reprit: " Que s'est-il passé? un crime, un crime horrible, un crime odieux, un crime aux dieux, à Dieu...
Et le sourd décidément en verve:
-Il a dit adieu, Il s'en va? c'est fini?
- Chuttttt! Laisse parler monsieur le curé!

La voûte en berceau retentit de ces mots:
...Un crime sanglant et barbare, un assassinat assassin de la civilisation. Et qu'est-il arrivé ensuite? Nous avons sombré dans le péché d'orgueil! L'un des plus sinistres des péchés capitaux, qui je vous le rappelle sont au nombre de 7, comme les nains de Blanche Neige, les Mercenaires...Quelle a été notre principale préoccupation? Prier pour ces deux malheureux morts dans le péché et la luxure forestière? Allumer des cierges expiateurs pour que le Seigneur les accueille en Sa maison et donne au coupable la torture d'un remords rancunier et irrémédiablement récidiviste?
Non! Deux fois non! Notre seule préoccupation a été de "passer à la télé"! comme l'on dit! Au vingt heures! A télé matines sur la chaîne du Vatican ! Et j'en passe!
Oui, mes bien chères soeurs, mes bien chers frères! Nous n'avons pas rendu à César ce qui est à César! Au lieu de laisser la gendarmerie faire son enquête, tout le village s'est mis à parader devant les micros et les caméras. Tout le village s'est mis à bavarder! Que dis-je à bavarder! A jacasser! A témoigner de ce qu'il n'avait pas vu.

En ce trentième dimanche du temps ordinaire, je vous inciterai à revenir dans le silence, à demander pardon au Seigneur. Sachons être le ferment du Royaume de Dieu pour que ce royaume se lève au coeur de notre monde au lieu de nous contenter d'être l'ivraie livrée à la dispersion, à la prétention et à l'ambition! Que les coupables soient trouvés! Qu'ils soient punis! Mais nous, gardons-nous d'empiéter dans des domaines qui ne nous appartiennent pas. Ne parlons que si nous savons et si nous ne savons pas, lavons-nous en les mains! Amen.

Cet amen fut dit d'une telle voix volontaire et forte qu'il fit sursauter le vicaire quelque peu assoupi et qui, par un réflexe professionnel, se leva. C'était le moment du Credo. Moment redouté par l'abbé Styropopor. Cet instant de la messe était devenu pour lui un cauchemar. Non point qu'il douta de la résurrection de la chair ou de l'unicité en trois personnes du Père Eternel. Non; son cauchemar était là, debout au premier rang.

Un cauchemar en deux exemplaires. Résigné, l'abbé Styropopor entama la prière. Et, comme il le savait, ce fut, une fois de plus l'enfer. Deux paroissiennes ayant dépassé d'au moins 40 ans l'âge moyen de la ménopause, pourtant bien repoussé aujourd'hui grâce aux hormones, deux paroissiennes donc, les soeurs Labusque. le curé savait qu'elles étaient sur les starting block et n'attendaient que le premier mot du Credo pour entrer en compétition élocutive avec le bon prêtre. Et c'est un miracle, si depuis le temps, l'espoir de toute la communauté de fidèles ne s'était pas réalisé: que les soeurs Labusque voient leur dentier se décrocher et les étouffent!

Elles en étaient à ...la vie éternelle, Amen! tandis que le prêtre disait à peine...à son fils unique Notre Seigneur. Essoufflées mais vivantes, la tête haute et la voilette baissée nos deux bigotes jouissaient de leur triomphe, à défaut de pouvoir jouir d'autre chose.

Les regards des soeurs se plantèrent sur celui du célébrant. Ils disaient clairement: Nous avons gagné!

Le brave Styropopor ne put s'empêcher de penser que le Seigneur, dans sa grande magnificence, pourrait faire un effort et faire entrer les deux soeurs en son Royaume des Cieux. Ce n'était pas justice que ce soit toujours les mêmes qui supportent ces deux punaises quand bien même elles seraient de sacristie. Toujours est-il que les deux vipères maigrichonnes et acerbes squattaient l'église.
Tous les jardiniers peuvent en témoigner: le chiendent résiste mieux que la bonne herbe.
Et le bon Styropopor en faisait des rêves affreux. Dans son sommeil, il vivait un double enterrement et au moment de la prière, les couvercles des cercueils se soulevaient. Blanches et décharnées. Les terribles Labusque se mettaient alors à réciter un dernier credo... En sueur, Styropopor se dressait sur son lit, le coeur au bord de la rupture définitive. Il lui fallait chaque fois un grand moment avant de pouvoir se rendormir...