dimanche 11 mars 2012

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CHAPITRE 17

Narration d'une séance de découpage

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Pour Lagarrigue, le soulagement était immense. L'arrestation des soeurs Labusque n'était certes pas uniquement une formalité, mais tenir les coupables après tant de longues semaines d'enquête lui donnait une véritable bouffée d'oxygène.
La cellule de crise de la Gendarmerie s'était réunie. Le tour de table terminé, une certitude s'imposait aux gendarmes: ils n'avaient à craindre que l'hystérie mystique des criminelles. Ils n'avaient pas tort et les lignes qui vont suivre en donneront, hélas, un compte-rendu fidèle à nos lecteurs.
Ayant délaissé sa 4L pour une Estafette dernier modèle, Lagarrigue, accompagné de trois de ses meilleurs hommes, arriva de très bon matin, c'est à dire à 11 heures, au domicile des criminelles. Arrêter Drosoline et Augustine à leur saut du lit, apparaissait à notre héros, au-dessus de ses capacités. Rien que de les imaginer en chemise de nuit, avec au côté du lit leur seau hygiénique, Lagarrigue avait envie de vomir. Il n'était pas si sot pour agir à l'encontre de lui-même. Le gendarme ne voulait pas que dans son inconscient s'imprègne des images terribles qui seraient susceptibles de diminuer sa libido.

(à noter pour la petite histoire que ce premier paragraphe avait été pré-sélectionné par le célèbre Bernard Pivot pour sa dictée de par l'utilisation des homophones "sot", "Seau" et "saut" NdlA )

L'antre des punaises était située en plein centre de Sainte-Trique, endroit stratégique pour observer, derrière le rideau à peine soulevé des carreaux de la fenêtre du deuxième étage, les aller et venues du moindre habitant du village et même de leur curé. Voisines du presbytère, les soeurs Labusque pouvaient ainsi contrôler les déplacements du berger des âmes et son vicaire en toute tranquillité. Rien ne pouvait leur échapper! pas une visite! pas une entrée, pas une sortie, sans qu'elles en notent l'heure, le jour avec autant de précision que les minutes d'un acte notarial.
Lagarrigue frappa à la porte. Une voix égrillarde lui répondit:
- Tirez la bobinette et la chevillette cherra!
Lagarrigue, un peu surpris répliqua:
- Je ne suis ni le loup, ni le Petit Chaperon Rouge! Je suis le Gendarme Lagarrigue!
- C'est pas grave! déposez votre galette et votre petit pot sur le perron! dit l'une des deux Labusque.
Lagarrigue commença à perdre patience:
- On ne va pas réécrire tous les contes du répertoire tout de même! C'est pas le moment! murmura-t-il en ses dents à ses collègues. On vient arrêter les soeurs Labusque, pas les frères Grimm! et s'adressant à son équipe:
- Bon je tire la bobinette! et il appuya sur le bouton de la sonnette.
La porte s'entrouvrit, laissant apparaître la moitié du visage de Drosoline. De ce seul oeil visible, elle toisa Lagarrigue et déclara:
- Si c'est pour le calendrier des pompiers on a déjà donné!
- Je ne suis pas pompier!
- Scout?
- Non!
- Éboueurs?
- Non plus!
- Il n' a pas de sot métier, jeune homme! Il n'y a que de sottes gens! Vous n'avez pas à avoir honte.
Lagarrigue décida de mettre fin à cette énumération et poussant la porte sans ménagement déclara:
- Je suis gendarme et nous, les calendriers, nous les livrons directement sur les pare-brise! Je suis gendarme ici, à Sainte-Trique, comme mes accompagnateurs!
L'oeil de Drosoline devint plus noir, une lueur de méchanceté s'y alluma. Augustine apparut et se campa au côté de sa cadette. Lagarrigue et ses hommes investirent les lieux, prenant chacun une position stratégique pour parer à toute velléité de fuite des soeurs Labusque.
- Je vous arrête toutes les deux, au nom de la loi, pour assassinat!
Drosoline se mit à hurler, suivie de peu par Augustine. Deux hurlements perçants et d'une intensité à vous rendre sourd pour une bonne semaine! Elles se précipitèrent avec une agilité surprenante pour leur âge sur le tiroir du buffet, mais hélas pour elles, et heureusement pour les gendarmes, elles furent immédiatement stoppées dans leur élan. Lagarrigue ordonna qu'on leur passe les menottes. Ce ne fut pas chose facile, Drosoline et Augustine griffaient, mordaient, donnaient des coups de poings et des coups de pieds à tour de bras et de jambes!
Les gendarmes n'en croyaient pas leurs yeux! Il leur fallut une bonne vingtaine de minutes pour prendre le contrôle de la situation. Enfin, menottées, essoufflées, aphones d'avoir tant crié, Drosoline et Augustine furent contrainte d'accepter leur inévitable situation. Assises, les mains derrière le dos, comme deux écolières punies, elles regardèrent les photos que Lagarrigue avait prises dans la clairière.

- C'est bien vous ? demanda Lagarrigue.
Ce fut Drosoline qui répondit:
- Oui, c'est nous. C'est bien nous!
- Et qu'alliez-vous faire dans cette clairière?
- On a bien le droit de se promener! On est encore en République!
- En République, c'est sûr, on y est! répondit Lagarrigue, mais se promener avec un tel attirail propre à découper un cochon, là c'est limite! Vous avez assassiné un couple, vous vouliez découper le poulet, pardon, le gendarme que je suis.
Froidement Augustine déclara:
- Bien sûr que non, puisque nous ne vous avons pas vu! Mais à la réflexion, c'eut été possible! Une aile, une cuisse, un peu de blanc, le croupion, la cervelle et la carcasse pour le bouillon, il y aurait eu un poulet de moins à la gendarmerie.
Lagarrigue n'apprécia guère cette plaisanterie macabre.
- Continuez, dites-nous plutôt pourquoi vous avez assassiné ce couple d'amoureux.
- C'était une erreur! dirent en même temps les deux soeurs.
- Une erreur? s'étonna Lagarrigue. Vous pouvez m'expliquer?
- On pensait que c'était le vicaire et sa pouffiasse!
- Modérez vos expressions! ordonna Lagarrigue. Vous pensiez?
- Nous savions tout sur leur turpitude! Sur l'horrible péché de luxure qu'ils pratiquaient presque quotidiennement, du moins à la belle saison! De notre fenêtre, nous voyions entrer la pou... mais le regard de Lagarrigue incita Drosoline à modérer son vocabulaire:
- Sa pou, sa pou, sa poupée! peu à peu nous eûmes la puce à l'oreille! Cette créature du Diable ne venait pas à confesse! Cette créature venait pour tout autre chose. Elle venait pour le vicaire!
- Comment ?
- Oui! pour le vicaire car lorsqu'elle débarquait, l'abbé Styropopor n'était jamais là, tandis que le cycliste lui, était bien présent. La dame ressortait une ou deux heures après, comme explosée, rouge, les cheveux hirsutes, le regard brillant et les mains tremblantes, totalement démaquillée et le chemisier chiffonné!
- Cela ne vous regardait pas! affirma Lagarrigue.
- Bien sûr que si! répliqua aussitôt Augustine. Un serviteur de Dieu! Un promis au célibat! Nous avons décidé de prendre cette affaire en main! De les punir et de les expédier ad patres!
- ad quoi ? demanda Lagarrigue qui n'avait pas fait de latin.
- ad patres ! chez les morts! On voit bien qu'il n'y a plus de messe en latin! déplora Drosoline. Donc, un jour où nous les avons vu de diriger vers la forêt, selon leur habitude, nous avons décidé de les suivre et de mettre notre plan à exécution. Nous attendîmes une bonne demi-heure avant de nous jeter sur eux. Le temps de les laisser se mettre en train! Lorsque nous sommes donc arrivées, ils étaient nus dans une demi-obscurité. Ensemble, Drosoline et moi, nous nous jetâmes sur le vicaire et sa Pou... pou quoi ? d'ailleurs! Et va z'y qu'on te les assomme, poignarde, essorille. On en était là, quand tout à coup Augustine s'arrêta d'un coup, le couteau ensanglanté en l'air! Au risque de se tâcher! et elle me dit alors
- C'est pas les bons!
- Les bons quoi? demandai-je à ma soeur.
- C'est pas le vicaire pédaleur et sa copine!
- Alors, on s'est trompé? C'est qui ces deux-là?
- Je sais pas, en tout cas, tu peux dire c'était! on les a saignés comme des gorets! ça me rappelle ma jeunesse... On n'a pas trop perdu la main!
Lagarrigue reprit les aveux en main:
- Vous voulez dire que vous avez assassiné deux innocents amoureux!
- Ben oui! c'est une erreur, mais quand on s'en est rendu compte, c'était trop tard, on pouvait plus recoller les morceaux et comme disait notre mère: "ce qui est fait est fait"
On a appris par la suite que notre vicaire était bien passé par là, mais comme l'endroit était déjà occupé, il avait fait demi tour...
Lagarrigue était atterré! Ainsi deux vieilles aux portes du cimetière avaient sordidement prémédité leur crime et le destin, insondable de mystère, s'était amusé à remplacer les victimes désignées par des victimes innocentes!
- Aux assises, vous aller prendre perpète! dit Lagarrigue.
- La perpétuité à presque 80 ans, ça ne doit pas être bien long! fit remarquer Augustine.
- On va consigner tout ça par écrit à la Gendarmerie!
Lagarrigue et ses hommes emmenèrent les soeurs Labusque qui, cette fois, ne résistèrent pas.
Ainsi, le mystère de Sainte-Trique venait d'être résolu.